Le prix du réalisme
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Le prix du réalisme

Vous regardez un épisode de votre série favorite. Tout à coup, le personnage principal prend une désaltérante gorgée de Coca-Cola. Vous vous dites quoi? "Enfin, un peu de réalisme!" ou "Combien Coca-Cola a-t-il payé pour cette belle visibilité?"

Personnellement, j’opte pour le second énoncé.

De belles visibilités, vous ne manquerez pas d’en voir dans la série C.A., signée Louis Morissette, à Radio-Canada. Trojan, Réseau Énergie 94,3, Dentyne Ice, Nike, Century 21, j’en passe… Combien ces marques ont-elles payé pour s’immiscer dans l’histoire?

Tenez-vous bien: pas un sou.

C’est le producteur de la série, Louis-Philippe Rochon (de Novem), qui me l’a dit. "Nous n’avons pas tiré d’argent de ça", confirme-t-il. Qui plus est, insérer des marques dans la série a été un casse-tête pour la production. "Chaque fois, il a fallu demander la permission au propriétaire de la marque", précise M. le producteur.

Si l’exercice demande des efforts, sans rien rapporter, pourquoi diable montrer des marques à l’écran? La réponse vient de Louis Morissette, qui s’est exprimé sur mon blogue à ce sujet: "Pour le réalisme de la chose. Le téléspectateur en moi est toujours dérangé lorsqu’il reconnaît une bouteille de Coke, mais que le logo a été parodié, ou que "Century 21" est devenu "Century 22". L’objectif est de faire oublier aux gens que c’est de la tivi pour qu’ils embarquent dans l’histoire."

C’est donc par souci de réalisme qu’on se farcit du placement de produits dans C.A. Vous ai-je déjà parlé de la poignée qui me poussait dans le dos?

Dans l’épisode que vous verrez lundi prochain, une scène hautement réaliste montre le personnage de Louis Morissette visiter une maison en vente. On y distingue nettement une pancarte de l’agent immobilier Century 21. Quelques scènes plus loin, Louis baise dans la maison en vente avec la plantureuse agente.

Century 21 Québec a bien accepté que sa pancarte soit vue dans C.A., et ce, sans rien payer. Mais il y a plus. Avant de donner son aval, l’agent immobilier a aussi exigé que des modifications soient faites au scénario original. Je n’invente rien. C’est le vice-président de Century 21 Québec, Michel Auclair, qui me l’a dit. "Si je me souviens bien, au départ, Louis Morissette voulait que l’agente porte un manteau or, ce qui était notre marque de commerce il y a 15 ans. On a demandé d’enlever le manteau et ils l’ont fait."

Résumons. La production de C.A. a pu utiliser sans frais une pancarte de Century 21. En échange, Century 21 profite d’une visibilité privilégiée dans une série diffusée à une heure de grande écoute sur une chaîne publique.

Je n’ai jamais été bon en chiffres, mais à mon avis, le prix de la visibilité médiatique de Century 21 dépasse largement celui de sa pancarte.

Ce que le producteur de C.A. n’admet que du bout des lèvres, c’est qu’il a tenté quelque chose. Dans un contexte où les séries télé sont de plus en plus difficiles à financer, il est normal de vouloir chercher de nouvelles sources de revenus. Le placement de produits est une voie d’avenir. C’est indiscutable. Or, combien valent trois secondes de visibilité dans une série comme C.A.? Mystère. En attendant, c’est gratuit.

Aux États-Unis, le placement de produits rapporte depuis longtemps. Les marques paient le gros prix pour se faufiler dans les séries et les films américains. Au Québec, nous n’en sommes pas là.

C’est que la question n’est pas simple. Car, contrairement aux séries américaines, les nôtres sont sur le respirateur artificiel. Sans fonds publics, elles n’existeraient pas.

Or, en ouvrant la porte à du placement de produits payé par des annonceurs privés, les producteurs pourraient donner l’impression de vouloir se débrouiller sans le soutien de leurs généreux donateurs gouvernementaux (tels que le Fonds canadien de télévision). Ce faisant, les généreux donateurs pourraient être tentés de revoir leur générosité à la baisse.

Si c’est ça, le prix du réalisme…

Cela dit, j’ai bien aimé C.A.

C.A., à Radio-Canada, le lundi, 21 h.

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TÉLÉ

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WWW

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