On s’accommode
Aujourd’hui, je m’insurge contre ce que j’estime être un affront direct à mes croyances. Je parle, bien sûr, de cette croix honteuse dressée depuis trop longtemps sur le mont Royal. Ce triste symbole nous rappelle douloureusement le joug que l’Église catholique a imposé au peuple québécois durant des siècles. Dans ma foi d’athée, cette croix est une insulte.
Je plaisante, évidemment. Pour dire vrai, la croix du mont Royal ne me dérange pas plus que ce petit fil invisible, l’erouv, tendu entre les bâtiments par les juifs hassidiques pendant le sabbat. Elle ne me dérange pas plus que le kirpan, ce couteau, cousu dans son fourreau, porté à l’école par les jeunes sikhs. Cette croix, en fait, je la tolère autant que la présence de mosquées, de synagogues ou de centres Hare Krishna à Montréal.
L’expression publique des différentes religions soulève des débats fertiles. Le kirpan, les piscines non mixtes pour les musulmans, l’enseignement des théories créationnistes à l’école… À l’émission Jeux de société cette semaine, on pose la question: faut-il sortir la religion de l’espace public?
Mautadite bonne question.
Une institution publique ne changera pas ses façons de fonctionner pour plaire à une quelconque croyance. Là-dessus, cependant, on peut adopter une position stricte ou juste. C’est ainsi que les élèves musulmans de l’École de technologie supérieure ont pu obtenir le droit de faire leurs cinq prières quotidiennes, cela, sans que l’école ait l’obligation d’aménager un local dédié à cette activité. C’est juste. C’est ce qu’on appelle des "accommodements raisonnables".
Il y en a pour dire que les accommodements raisonnables n’ont pas lieu d’être au Québec. Selon eux, aucune concession ne devrait être faite à aucune communauté religieuse. Pour expliquer leur position, ces opposants invoquent souvent le bon vieux dicton: "À Rome, on fait comme les Romains".
Remarquez, certains pays adoptent ce dicton à la lettre. En Iran, par exemple, une femme nord-américaine ne pourrait pas se faire bronzer longtemps en bikini sur une plage. Car en Iran, on fait comme les Iraniens.
Si l’on suit cette logique, au Québec, il faudrait faire comme les Québécois… Or, qui sont les Québécois, au juste?
D’abord, notre province en est une d’ouverture; les libertés individuelles priment. Ensuite, le Québec d’aujourd’hui dépend de l’immigration. Cette immigration ajoute déjà au tissu social "100 % pure laine" des mailles que l’on pourrait trouver inesthétiques. Mais il faudra s’y faire. Si le Québec veut un avenir, c’est ainsi qu’il devra être tricoté.
L’accommodement raisonnable n’est pas une preuve de mollesse. C’est la preuve d’une société évoluée, moderne, capable de compromis, capable de contenir de multiples exceptions dans un tout fonctionnel et harmonieux.
En tant que Québécois, je suis fier de penser qu’ici, un jeune sikh peut porter son kirpan à l’école, à condition qu’il soit cousu dans son fourreau et sous son chandail. Dans son cas particulier, et puisque le kirpan n’a jamais – jamais – été l’arme du moindre crime dans une école, c’est raisonnable.
En tant que Québécois, je suis fier aussi de penser qu’une croix catholique peut continuer à trôner au sommet du mont Royal, sans qu’aucun pyromane athée, musulman ou animiste ait pour dessein de faire flamber la montagne.
En tant que Québécois, je suis fier de penser qu’au Québec, on fait comme les Québécois… On s’accommode.
Jeux de société – Faut-il sortir la religion de l’espace public? À Canal Vie, le lundi 9 octobre, 21h.
MAGAZINE
Il y avait longtemps, très longtemps, qu’un premier ministre du Canada n’avait pas invoqué Dieu dans un de ses discours. C’est pourtant ce qu’a fait à de multiples occasions Stephen Harper au cours de la dernière campagne électorale. La droite religieuse a déjà son théâtre de marionnettes à la Maison Blanche, la même chose est-elle en train de se produire au 24, Sussex? Un long dossier sur le sujet dans le magazine canadien The Walrus (octobre 2006).
TÉLÉVISION
Un grand film tourné comme une histoire vraie, celle d’Howard Beale, un lecteur de nouvelles vieillissant, assassiné en direct pour cause de mauvaises cotes d’écoute. Critique acide de l’info-divertissement à la télévision, ce film a beau dater de 1976, son sujet est criant d’actualité… À voir ou à revoir! Main basse sur la TV (v.f. de Network), avec Faye Dunaway et Robert Duvall, à Historia, le samedi 7 octobre, 22h.