Sauter le requin
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Sauter le requin

Il arrive parfois qu’une série télé atteigne un sommet ultime d’absurdité, un point de non-retour. Un moment charnière qui nous fait croire que l’auteur de la série a bel et bien épuisé son sac à bonnes idées.

Les Américains ont une expression savoureuse pour nommer le phénomène: jump the shark (sauter le requin).

Pour la petite histoire, l’expression découle d’un épisode de la célèbre sitcom Happy Days. À un certain moment, six ans après le début de la série, le personnage de Fonzie (Henry Winkler) fait du ski nautique – en veste de cuir – et saute par-dessus un requin…

Dans les annales télévisuelles, ce moment marquera le début de la fin de Happy Days

Mais l’expression jump the shark allait entrer officiellement dans le lexique de la culture populaire américaine des années plus tard. En 1997 précisément, alors que le chroniqueur télé Jon Hein lançait le site Internet Jumptheshark.com, un espace où le peuple pouvait enfin identifier les instants où ses séries favorites avaient "sauté le requin".

Or, au Québec aussi, on saute le requin.

Souvenez-vous du téléroman Marilyn (avec Louisette Dussault). En 1991, il était parti d’une prémisse sympathique: une femme de ménage colorée qui nous fait vivre les tribulations de quelques familles. En 1994, Marilyn était élue conseillère municipale. Elle avait sauté le requin.

Et Watatatow? Au départ, le feuilleton traitait d’inoffensifs drames d’adolescents (un devoir oublié, un bec sur la bouche, l’acné). Quatorze ans plus tard, les aléas de la puberté avaient fait place à des sujets bien moins jojo: toxicomanie, suicide, sida, sectes religieuses, inceste, violence conjugale. On avait sauté le requin.

Et puis il y a Virginie. Régnant dans la case de 19 h depuis une décennie, la quotidienne de Fabienne Larouche fracassera lundi prochain le record du plus grand nombre d’épisodes dans l’histoire de la télé d’ici. Avec 1221 épisodes, Virginie ravira la première place à Watatatow.

Maintenant, la question qui tue: Virginie a-t-elle sauté le requin?

Tout dépend du point de vue. Pour ma part, j’ai l’impression que la prof de Sainte-Jeanne-d’Arc est allée jusqu’à faire du rodéo à dos de squale. Mais s’il n’y avait qu’un moment "requin" à choisir, j’opterais pour cet épisode où Dieu est apparu dans Virginie.

C’était il y a quelques années. Une scène que je n’oublierai jamais. Le professeur d’histoire Julien Constantin (Jacques L’Heureux) s’était retrouvé à prier. Et la voix de Dieu lui avait réellement répondu!

Bien sûr, plus tard, on apprendra que cette divine intrusion était en fait celle du concierge de l’école, joué par le désormais député du Bloc Québécois Maka Kotto. Tout de même… Le jour où Dieu est intervenu dans Virginie, moi, j’ai défroqué.

Depuis, Virginie a probablement sauté le requin des dizaines de fois, qu’en sais-je? Pourtant, l’histoire d’amour entre la quotidienne et le public dure saison après saison. Entre 600 000 et 800 000 personnes sont accros aux rebondissements de ce microcosme scolaire. Cela représente une dizaine de Stades olympiques, remplis à craquer, chaque soir…

Les requins, Virginie n’en fait qu’une bouchée…

Virginie, 1221e épisode, à Radio-Canada le lundi 16 octobre, 19 h

– Le site Internet Jump the shark [www.jumptheshark.com]

Pour visionner la fameuse scène de Fonzie dans Happy Days, cliquez sur Youtube [www.youtube.com] et tapez "Jump the shark" dans le champ de recherche.

ooo

MAGAZINE

Deux reportages à signaler dans le magazine Wired de ce mois-ci. En couverture: une exploration du "syndrome métabolique", cette maladie qui ressemble étrangement à l’obésité, qui toucherait 75 millions d’Américains, et que l’industrie pharmaceutique a à l’oeil… À l’intérieur: une visite guidée de Second Life, ce monde virtuel en ligne habité par près d’un million de résidents. Certains quittent même leur emploi – réel – pour ouvrir dans ce jeu des commerces virtuels! Quand l’expression "Get a life!" prend tout son sens. Wired, octobre 2006.

TÉLÉ

Je ne manquerai certainement pas la première de Bazzo.tv, la nouvelle quotidienne "à neurones" produite et animée par Marie-France Bazzo. À Télé-Québec, dès le lundi 16 octobre, 12 h 30.

Je ne raterai pas non plus le premier épisode d’October 1970, cette minisérie portant sur notre Crise d’octobre, mais produite en anglais, à Toronto, et pour un public canadien-anglais. Oui, c’est absurde. À CBC, dès le jeudi 12 octobre, 21 h.