Les films de papa
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Les films de papa

Il y a le lourd album photo qui dort dans le buffet. Il y a aussi les petits films amateurs réalisés par papa. À chaque famille, ses archives. L’ensemble forme la mémoire visuelle d’une société.

Été 1995, les réalisateurs Yann Langevin et Karina Goma, ainsi que le monteur Alain Baril, partaient à l’aventure aux quatre coins de la province à bord d’un Winnebago 1971. Leur démarche: recueillir des centaines de films familiaux moisissant dans les caves et les greniers du Québec, constituer une collection de métrages amateurs datant de la fin des années 20 jusqu’aux années 70.

À l’époque, le projet avait attiré l’attention de la presse. Résultat: dans les municipalités, on attendait avec impatience cette caravane qui viendrait ravir à l’oubli ces images du passé, granuleuses et sautillantes. La récolte a été bonne. À la fin de l’été, le trio avait récupéré pas moins de 70 heures de matériel. Des films signés Monsieur et Madame Tout-le-monde, évoquant le Québec des années coups de coeur.

L’objet de cette collection était la production d’une série télévisée d’abord intitulée Les Inédits. Douze ans plus tard, après avoir dormi sur les tablettes de nombreux producteurs et diffuseurs, le projet s’est finalement concrétisé. En 13 épisodes, la série Les P’tites Vues est présentée à Télé-Québec depuis cette semaine.

Chaque émission aborde un thème: l’enfance, le travail, la religion, la nature, la fête, l’hiver. On y voit avec nostalgie les contours d’un Québec disparu.

Avec le recul, Alain Baril note que le film amateur a évolué avec les technologies. Ainsi, avant les années 60, les rares cinéastes étaient pour la plupart fortunés, ou occupaient une fonction sociale plus large: curés, professeurs, entrepreneurs. "Il y avait beaucoup de monde dans leurs films", dit le monteur. Les parades, les fêtes paroissiales, les catastrophes locales (incendies, inondations) faisaient partie des événements que ces documentaristes de la première heure jugeaient dignes d’intérêt.

Il faudra attendre 1965, et l’arrivée sur le marché des premiers films Super 8, pour que le simple ouvrier ait accès à une caméra bon marché. Il tournera alors son objectif vers ce qui l’intéresse vraiment: sa petite famille. Ces Spielberg du dimanche seront prolifiques.

Le père, absent de ces métrages parce que le plus souvent derrière la caméra, mettra en scène son microcosme. Il conservera une trace filmique des moments notables de l’histoire de son clan. Plus intéressé par l’immortalisation des instants de bonheur que par la documentation objective de la vie humaine, son oeuvre ressemblera davantage à du cinéma d’auteur qu’à du documentaire. Le cinéaste amateur créera une mémoire, mais une mémoire sélective.

"On a beaucoup de films de baptêmes, de mariages, de fêtes d’enfants, mais très peu d’enterrements", dit Alain Baril. Avant de couper le gâteau, on attend que la caméra soit prête à tourner. Mais on n’attend pas le petit oiseau pour signer un acte de divorce. Pas plus qu’on ne reprend deux fois une scène de ménage.

Ainsi, dans mille ans, si des archéologues dépoussièrent nos films de famille, ils risquent d’obtenir une vision pour le moins déformée du monde actuel.

Ils croiront que les humains de notre époque n’en avaient que pour leurs enfants, qu’ils fêtaient sans cesse en les couvrant de cadeaux et de gâteries. Ils s’imagineront un peuple passant le plus clair de son temps en vacances, à se prélasser sur une plage, à construire des châteaux de sable, à visiter des pays chauds. Ils verront des jeunes se marier sous les confettis. Ils verront des hommes fiers, exhibant des truites de 30 livres. Ils verront des matchs sportifs, des dimanches, de la visite, des célébrations…

Ils se diront certainement: "Le 20e siècle, quelle heureuse époque!"

Les P’tites Vues, les mercredis, 19 h 30, à Télé-Québec.

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TÉLÉ

L’automne dernier, Tout sur moi mettait en scène de vrais comédiens faisant semblant de se jouer eux-mêmes. Cet hiver, La Job était tournée sous la forme d’un faux documentaire. Dans les deux cas, le flou entre la fiction et la réalité a séduit la critique, mais le public n’a pas suivi. Or, Legendre idéal est une sorte d’hybride de Tout sur moi et La Job: une sitcom sur les coulisses d’un talk-show, tournée comme un documentaire, avec de vrais comédiens faisant semblant de se jouer eux-mêmes. Au lancement de presse, la critique s’est bidonnée. Cette fois, le public suivra-t-il? Legendre idéal, à Radio-Canada, dès le lundi 9 avril, 19 h 30.