Kyoto que c’est beau!
Il y a belle lurette que l’on pige dans la panoplie de monsieur le curé pour ponctuer certains événements de l’existence humaine.
On invoque l’armoire à pains bénits lorsque la tête d’un marteau atterrit malencontreusement sur un pouce. On sollicite la coupe de Son sang lorsque la Sainte-Flanelle donne la partie aux Leafs à cause de quelques punitions ridicules. On fabrique un adverbes avec le surnom du petit Jésus pour accentuer la beauté d’un coucher de soleil.
Bref, on sacre. Et ces moult emprunts au lexique religieux donnent à la parlure québécoise une couleur unique, voire identitaire. Car les sacres ne sont rien de moins que des résidus langagiers hérités de notre histoire, de nos aïeux jadis soumis à l’emprise de l’Église.
Les Français ont leur putain et leur merde. Les Américains ont leur fuck et leur shit. Tous des jurons puisés à même le répertoire vulgaire et scatologique. Or, nos jurons à nous ont été appris à la messe. Bien sûr, d’autres cultures se sont inspirées de la religion pour enrichir leur banque de gros mots, mais peu ont perfectionné le sacre autant que nous.
Avec le temps, on a fait de nos sacres des verbes (câlisser, crisser), des adverbes (crissement), des noms (un ostie, en parlant de quelqu’un). Pour les soirées mondaines, on a même créé des dérivés politiquement corrects. Crisse est devenu criff. Ostie est devenu ostique. Câlisse est devenu câline (ou mieux: câlibine). Tabarnac est devenu tabarnouche, tabarouette, ou a pris des airs soviétiques avec tabaslak…
Ce vaste inventaire de sacres et de simili-sacres forme aujourd’hui un métalangage bien de chez nous, que l’immigrant prendra des années, voire une vie, à maîtriser. Au Québec, on peut tout dire en sacrant. En fait, le crisse est à notre langue ce que le schtroumpf est aux Schtroumpfs: un mot-ketchup, que l’on verse dans n’importe quelle phrase pour lui donner de la couleur, sans vraiment l’améliorer.
Pourquoi les sacres sont-ils si puissants? "Le sacre accapare le sens du sacré", dit l’anthropologue Bernard Arcand dans Stie, un documentaire diffusé cette semaine à Radio-Canada.
Dans ce film, vous entendrez sacrer à tour de bras. C’est pour la bonne cause. C’est pour saisir la signification du sacre dans la société québécoise. Ainsi, un comédien, un historien, un théologien, un prêtre, une linguiste, un prof de littérature, un humoriste, une spécialiste de l’étiquette s’exprimeront sur le sens profond des sacres. Vous aurez même droit à une thèse pour le moins audacieuse: le sacre, trait culturel typiquement québécois, serait menacé de disparaître à la faveur de la mondialisation culturelle made in USA. À quand une campagne électorale sur les VRAIS ENJEUX: la sauvegarde de notre patrimoine grossier?
Or, une autre question se pose. En 2007, alors que la religion n’a plus autant d’emprise qu’autrefois, alors que les vitraux des églises sont peu à peu remplacés par des feuilles de contreplaqué, quelle est la valeur réelle d’un sacre? Le sacré étant de moins en moins sacré, à quoi bon sacrer? Pour contester qui?
S’interroger sur nos sacres, c’est s’intéresser à la présence du sacré dans notre société. Puisque l’Église ne semble plus tellement jouer son rôle de grossiste en la matière, qui la remplacera?
Récemment, le magazine L’Actualité se demandait si l’écologie n’était pas devenue la nouvelle religion des Québécois. L’environnement, c’est sacré. Devrions-nous emprunter aux écolos de nouveaux gros mots? Plutôt que: "Câlisse que c’est beau!", pourrait-on dire: "Kyoto que c’est beau"? Au Centre Bell, pourrait-on lancer: "As-tu vu l’Hubert Reeves de belle passe"? Devant un bogue informatique, pourrait-on pester: "Laure Waridel de Steven Guilbeault de José Bové de Microsoft à marde"?
Ouais… Douteux. L’écologie n’est peut-être pas encore assez sacrée pour fournir de bons sacres. En attendant que l’on embrasse un nouveau sacré, j’ai donc l’impression que le vocabulaire religieux est encore le plus apte à traduire la douleur provoquée par une collision entre un petit orteil et une patte de lit…
Stie, sacrer, c’est sacré! Un documentaire présenté à Zone libre (Radio-Canada), le vendredi 13 avril, 21 h.
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