Goûtez la différence…
Dans l’Est de Montréal, à l’angle des rues Sainte-Catherine et Bourbonnière, l’amateur de bonne chère trouvera un pittoresque restaurant La Belle Province. Sachez-le, le slogan de cette chaîne de fast-food bien de chez nous est: "Goûtez la différence…"
Dimanche dernier, je suis allé y goûter, à cette différence…
En pénétrant dans l’établissement, j’ai tout de suite noté le soin apporté à la déco, un hommage à la culture et aux valeurs traditionnelles d’ici. Banquettes fuchsia avec dossiers bleu poudre, tables de mélamine beige, murs moutarde, fleurdelisé incrusté dans les carreaux bleu-vert du plancher. Au fond, une spectaculaire fresque montre un enfant en pyjama, assis en Indien, devant un drapeau du Québec évoquant un ciel azur. Onirique.
Même si je sentais que le décorateur avait éprouvé de la difficulté à bien canaliser sa créativité, j’ai dû admettre un fait: je venais de pénétrer dans un restaurant québécois. Pas chez Burger King.
Mais qu’en était-il de la cuisine? Au comptoir, deux cuistots libanais m’ont accueilli avec célérité. Coup d’oeil au menu trônant au-dessus des friteuses: fish’n’chips, pita au poulet, gyros, hot-dog Michigan, hamburger, pizza bambino, pizza hawaïenne, pizza "Belle Province".
J’en ai conclu assez vite que l’intitulé "Belle Province", accolé à plusieurs mets, indiquait en fait la présence de viande fumée. "Belle Province" synonyme de "smoked meat"? Logique.
Après quelques hésitations, j’ai commandé un hot-dog Michigan. Or, je m’attendais à "goûter la différence", comme le promet si éloquemment le slogan de cette mosquée du gras trans. Amère déception…
En réalité, il n’existe que de subtiles nuances entre La Belle Province et les autres chaînes américaines que sont McDonald’s, Burger King ou Wendy’s. En fait, La Belle Province fait comme les autres, mais en plus cheap.
Et c’est en goûtant cette différence que l’illumination m’est venue. Dans les restes de mon hot-dog Michigan, j’ai vu l’avenir. L’avenir de notre télé, qui commence à ressembler étrangement à La Belle Province.
La même chose qu’ailleurs, en plus cheap.
La déferlante d’émissions étrangères qui atterrissent ces jours-ci sur nos ondes me semble être un signe avant-coureur. Bien sûr, nos diffuseurs n’ont plus les moyens de financer des tas de séries lourdes et originales. Bien sûr, c’est l’été – la saison morte en télévision. Bien sûr, les séries américaines sont souvent excellentes…
Tout de même, il y a péril en la demeure. Je crains l’acculturation tranquille de notre petit écran.
Prenez Télé-Québec. Notre réseau public provincial mettra en ondes cet été quatre nouvelles séries de la BBC (Les As de l’arnaque, La Reine vierge, Casanova, La Société fantôme), ainsi qu’une série suédoise (Wallander: enquêtes criminelles). Radio-Canada diffusera quant à elle trois séries américaines: Perdus, Beautés désespérées et Suspect no 1. Heureusement, notre société d’État propose aussi deux nouvelles émissions "originales": Legendre idéal et la résurrection de Que le meilleur gagne. Je mets "originales" entre guillemets, car voyez-vous, ces deux concepts sont nés ailleurs. En Finlande pour le premier, en Angleterre pour le second.
À TVA, qui a dominé les cotes d’écoute cet hiver grâce au Banquier (un concept américain édulcoré à la sauce Snyder), on nous offrira quatre autres américaines. Deux dramatiques (Dr House et Las Vegas) et deux téléréalités (Les Anges de la rénovation et Qui perd gagne). TQS régurgite aussi une téléréalité de nos voisins d’en bas: L’Île de la tentation.
On se sent chez nous, non? Et je ne vous ai pas parlé du contenu étranger qui comble nos si belles chaînes spécialisées. Pour le faire, il faudrait presque recopier ici le TV Hebdo.
Bref, si j’en crois les restes de mon hot-dog Michigan, et si la tendance se maintient, notre télé pourrait bientôt ressembler au menu de La Belle Province. Un menu comme partout ailleurs, auquel on aura ajouté quelques classiques décorés de viande fumée, afin de donner l’illusion d’une certaine culture distincte.
Goûtez la différence…
RADIO
La veille du Jour de la Terre (le 22 avril), la Première Chaîne présente une émission spéciale animée par Laure Waridel et Jean Lemire. Une agora médiatique pour trouver des solutions: peut-on sauver la planète dans le système économique et politique actuel? Parmi les invités: Fred Pellerin, Jacques Languirand, Daniel Boucher, Yann Perreau, François Avard. Et Pierre Lebeau "prête sa voix au Québec profond"… 48 minutes et 30 secondes pour sauver la Terre, à la Première Chaîne (95,1 FM), le samedi 21 avril, 11 h.