C’est ça, le bonheur?
"Nous vivons dans la société la plus ennuyante qui ait jamais existé sur Terre."
– Serge Bouchard, anthropologue célèbre
Dans sa vie active, ma grand-mère n’a jamais eu le temps de s’ennuyer. Quinze bouches à nourrir, autant de culs à botter. À sept heures, elle était déjà dans ses casseroles depuis longtemps. Trois tartes sur le bord de la fenêtre, un rôti de palette au four. Bien entendu, elle n’avait pas de temps pour la télé, pas de temps pour le yoga, pas de temps pour un burn-out et surtout pas le temps d’entreprendre cette éternelle quête du bonheur.
Au temps de ma grand-mère, on n’avait pas le temps de chercher le bonheur. On l’avait ou on ne l’avait pas.
Aujourd’hui, on a tout. Des kiwis chinois, des bières allemandes, du pétrole arabe, des films américains. On a des bagnoles à 0 % d’intérêt. On a Internet haute vitesse, les vidéoclubs libre-service, la carte Air Miles et la glucosamine d’Adrien Gagnon. On a les soldes printaniers, les "tout-inclus", les buffets à volonté, l’assurance-chômage, la démocratie et Noël.
On est comblé.
Dans nos sociétés modernes, tout est conçu et pensé pour satisfaire nos moindres besoins et désirs individuels. Et, si possible, au prix le moins élevé, tous les jours.
Serge Bouchard, anthropologue célèbre, voit là un paradoxe. "C’est un peu comme si l’homme de Cro-Magnon avait toujours rêvé d’un Wal-Mart, et que la longue marche de l’humanité nous avait conduits au Wal-Mart, dit-il. Le samedi, tu ne travailles pas et tu vas chez Wal-Mart avec ta famille… [Un jour], tu peux te retrouver facilement en crise existentielle avec ton épouse à quatre heures de l’après-midi. Tu te regardes et tu dis: "C’est ça la vie. On était chez Wal-Mart, puis là on s’en va chez nous…""
C’est ça le bonheur? Vraiment? Pas sûr.
Afin d’atteindre la béatitude, certains refusent le rêve de Cro-Magnon et décident d’aller au bout de leurs désirs les plus profonds, quitte à mettre leur vie en danger.
L’écrivain, poète et fantaisiste François Avard s’est intéressé à ces jusqu’au-boutistes dans un documentaire diffusé cette semaine à Canal D. L’auteur, que les jeunes connaissent pour son roman L’Esprit de bottine, a rencontré Serge Bouchard, anthropologue célèbre, ainsi que toute une galerie de personnages extrêmes. Parmi eux, un certain Efix Roy.
Pour le plaisir, Efix s’adonne aux modifications corporelles. Il a des tatouages partout et des trous de deux pouces de diamètre dans les oreilles. Il s’est fait implanter des billes de silicone sous la peau des bras. Il s’est fait effacer le nombril et entend faire de même avec ses mamelons. Pour couronner le tout, Efix a la langue coupée en deux, façon reptilienne.
Efix est de loin le spécimen le plus curieux du documentaire. Dans son enquête sur les expériences extrêmes, Avard nous fait aussi rencontrer d’autres personnes à la recherche d’elles-mêmes hors des sentiers battus: des échangistes, un moine bouddhiste, un type qui aime sauter dans le vide, un fou de la moto.
Il nous montre aussi de sympathiques jouets sexuels pour fétichistes. Par exemple, une tige de métal d’environ quatre pouces que l’homme peut entrer dans son uretère afin d’obtenir des sensations jouissives, dit-on.
Je comprends très bien que le bonheur n’est pas offert au prix le moins élevé chez Wal-Mart. En fait, j’ignore où se trouve le bonheur au juste. Mais j’ai pour mon dire qu’un type qui a besoin de se couper la langue en deux ou de s’insérer une paille de métal dans le pénis pour se réaliser pleinement a peut-être cherché le bonheur un peu trop loin…
Mon oeil! – Jusqu’au boutisme 101, à Canal D, le mercredi 16 mai, 21 h.
À noter: la série Mon oeil! présente des documentaires réalisés par des personnalités. On leur donne carte blanche, et le résultat est souvent délicieux. Ainsi, après le jusqu’au-boutisme d’Avard, Jici Lauzon fera le procès du zapping. Autant le dire tout de suite: je risque d’en parler dans ma prochaine chronique!
TÉLÉ
Enfin! Les cérémonies d’ouverture et de clôture du Festival de Cannes seront diffusées en direct au Québec pour la toute première fois! Alors que l’on devait jadis se contenter des clips de Flash, TV5 nous propose la Croisette sur un plateau d’argent! L’actrice Diane Kruger jouera la maîtresse de cérémonie (elle est de la distribution de L’Âge des ténèbres, de Denys Arcand, le film de clôture du festival). La cérémonie d’ouverture: en direct le mercredi 16 mai, 12 h 45 (rediffusion à 21 h). La cérémonie de clôture: en direct le dimanche 27 mai, 13 h.