Le bonheur n'est pas que pour les imbéciles
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Le bonheur n’est pas que pour les imbéciles

L’écrivain André Malraux disait: "Le bonheur est pour les imbéciles." À son avis, il était utopique d’espérer atteindre un état absolu (le bonheur), alors que nous vivons dans un monde relatif. D’où, j’imagine, l’expression "imbécile heureux".

Je ne suis pas sûr de comprendre tout à fait la formule de Malraux et ça ne me rend pas plus malheureux pour autant. Seulement, j’admets que pour atteindre le bonheur, l’étroitesse d’esprit peut s’avérer pratique afin de faire abstraction d’un certain nombre de réalités…

En effet, comment être heureux en 2007, alors que le tiers de l’humanité vivote avec moins de un dollar par jour? Comment afficher un air béat quand on sait que 40 millions d’humains sont touchés par le virus du sida, que les changements climatiques créeront bientôt 50 millions de réfugiés environnementaux, que l’espérance de vie au Swaziland est de 31 ans, que 2,5 millions de personnes sont tenues en esclavage dans le monde et que le Québec compte plus de suicides que toutes les provinces canadiennes réunies, moins l’Ontario? Exercice mental périlleux.

C’est Blaise Pascal qui, d’ailleurs, disait: "Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de ne point y penser."

Ainsi, pour être heureux, mieux vaut ne pas trop réfléchir. En fait, mieux vaut ne rien lire, ne rien voir, ne rien entendre. Surtout, garder le cap sur son nombril et s’intéresser d’abord aux plaisirs gourmands de madame di Stasio, aux trucs verts d’Albert et aux bricolages de Claudine.

Oui, l’imbécillité ouvre la porte au bonheur facile. Or, tous les heureux sont-ils nécessairement des imbéciles? J’en doute. Il y a les imbéciles heureux, certes. Il y a aussi les heureux tout court.

Un vaste happening culturel a cours en ce moment. Avec l’événement 100 jours de bonheur, 50 poètes, 24 photographes, 11 cinéastes et 11 chanteurs auscultent le bonheur sous toutes ses formes. L’événement a déjà accouché d’un recueil de poésie, d’un spectacle au Spectrum et d’une exposition de photographies sur le mont Royal. Cet automne, on verra aussi un "long-métrage inspirant", toujours sur le thème du bonheur.

Et cette semaine, RDI présente un documentaire en deux parties, Raccourcis pour le bonheur, où 16 personnes heureuses – mais pas imbéciles – se dévoilent.

Une mère raconte le bonheur de partager son quotidien avec son mari et ses cinq enfants. Un homme a pris sous son aile quatre déficients mentaux et s’est ainsi fabriqué une famille improbable qui le comble. Un retraité a trouvé le bonheur dans l’exercice physique. Une jeune thanatologue, pour qui le bonheur passe par le travail, est fière de réconforter les familles endeuillées.

Bref, le bonheur est multiforme.

Ce que je retiens de ces témoignages, c’est qu’au contraire du bonheur des imbéciles, le bonheur des gens intelligents semble être lié à la réalisation de soi. En fait, les gens heureux ont l’impression de servir à quelque chose d’utile.

Tenez, je connais une informaticienne. Une "top" dans son domaine, que les grandes entreprises s’arrachent et qui gagne un salaire de fou. Récemment, elle me disait: "Je suis en train de vivre la plus belle période de ma vie." Elle a commencé à enseigner les rudiments d’Internet à des personnes âgées. Désormais, plutôt que d’aligner des lignes de codes pour un patron qui ne connaît pas son nom, elle aide des gens isolés à maîtriser ce formidable outil de communication qu’est Internet. Du coup, elle se sent utile. Le bonheur a suivi.

Je me demande bien à quoi le monde ressemblerait si tous les humains -y compris les imbéciles heureux – décidaient de chercher l’utilité de leur existence. Dans quel monde vivrions-nous si tout un chacun tentait de trouver sa vraie place et de l’occuper, peu importent les conséquences?

L’électricien est-il vraiment fait pour électrifier? La douanière est-elle vraiment faite pour douaner? Le sous-directeur régional aux ressources humaines est-il vraiment fait pour sous-diriger régionalement les ressources humaines? Et le chroniqueur? Est-il vraiment fait pour chroniquer?

Allez, on prend une petite semaine pour y penser!

Raccourcis pour le bonheur, à RDI le jeudi 31 mai et le vendredi 1er juin, à 20 h.

L’événement 100 jours de bonheur: www.100joursdebonheur.com

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TÉLÉ

Du 5 au 11 juin 1967, il y a 40 ans, la guerre éclatait entre Israël et ses voisins arabes. Elle n’a duré que six jours, cette guerre, mais ses conséquences éclaboussent encore nos bulletins de nouvelles presque quotidiennement. Un documentaire de deux heures pour comprendre les origines et les contours de la guerre des Six Jours. Six jours en juin, à Radio-Canada, le dimanche 3 juin, 20 h.