Voir du monde
On marche jusqu’à cette promenade qui longe le bassin au coeur du parc Lafontaine. Et on arrive là où le bruit des autos n’est plus. Pour un instant, on s’affranchit du ronronnement urbain. On n’entend que le son des feuilles qui bruissent sous le vent, peut-être quelques accords de guitare, et les cris d’enfants qui jouent à se courir après.
Au coeur du parc Lafontaine, on est sur une autre planète.
Pendant toute une année, la documentariste Carole Laganière s’est incrustée dans le célèbre parc montréalais pour y saisir sa faune. Elle en a fait un film d’une heure que Radio-Canada présente ce dimanche.
Vous ne connaissez peut-être pas Carole Laganière; elle est pourtant une de nos très bonnes faiseuses d’images. Elle ne fait pas de films à sensation. Elle croque plutôt la poésie d’un lieu, l’essence des gens.
C’est ce qu’elle a fait dans Vues de l’Est, un film sur les enfants d’Hochelaga-Maisonneuve tourné il y a trois ans. Elle était alors parvenue à montrer le bonheur naïf – et parfois déconcertant – de ces jeunes issus d’un milieu gris "poqué". Il fallait entendre cette fillette de 12 ans, Vanessa, raconter avec toute la candeur du monde la fois où un pédophile avait voulu la violer. Bouleversant. Après Vues de l’Est, Carole Laganière a signé Country. Cette fois, des vieux lui ont raconté comment la musique country était devenue le centre de leur vie, et ce qu’ils allaient y puiser.
Avec Parc Lafontaine, petite musique urbaine, Carole Laganière reste dans les portraits de gens occupant un même décor. "J’aime l’idée de la famille, de l’appartenance à quelque chose pour conjurer un monde dans lequel on vit tous de manière atomisée", dit-elle en entrevue.
Carole Laganière a vécu les quatre saisons du parc Lafontaine. Les couleurs de l’automne, l’hiver des patineurs, le renouveau printanier, mais surtout l’été. L’été des nonchalants, des liseurs, des troubadours, des marchands de popsicles. Les nuits d’été aussi, avec ses bosquets grouillant de scènes classées 18 ans et plus.
Dans son film, un ado brosse la topographie sociale du parc Lafontaine. Il a découpé le lieu en différents "spots". "Il y a le spot de ceux qui courent ou font la lecture, explique-t-il. Il y a aussi le spot malheureux des itinérants et le spot des musiciens et des affaires de cirque, comme le jonglage."
En filmant le parc Lafontaine, Carole Laganière voulait trouver des personnages. "Je recherchais des gens pour qui le parc n’est pas un simple lieu de passage. Je cherchais des gens pour qui le parc aide à mieux vivre", dit-elle. Le parc comme refuge.
Elle en a trouvé. Il y a ce barbu aux yeux d’illuminé, qui vient tous les matins louer Krishna au parc Lafontaine, en s’accompagnant au clavier Casio. "C’est la plus belle chose que je fais dans ma vie", confiera-t-il. C’est qu’avant, il avait peur du monde. Le parc lui a permis de réapprivoiser l’extérieur.
Il y a aussi cette dame en fauteuil roulant, qui chaque jour depuis cinq ans vient nourrir ses canards. Ses bébés. Ils s’appellent Colombine, Gédéon, Saturnin… Il y a cet ancien alcoolo qui regarde les parents jouer avec leurs enfants. Des instants de bonheur qu’il aurait pu connaître, mais qu’il doit aujourd’hui vivre par procuration.
Il y a aussi ce vieil homme qui vient au parc et parle aux gens seuls. "Ça m’apporte plus que ce que je leur apporte", dira-t-il les yeux trempés.
On se rend vite compte que le film de Carole Laganière n’est pas un éloge de l’écotourisme. Pour ces habitués du parc, l’herbe, les arbres, le bassin et les canards ne sont qu’un prétexte. Ce qu’ils viennent chercher sur cette planète, c’est d’abord la vie, la présence de gens qui vibrent tous sur une autre fréquence… Ils viennent voir du monde.
Parc Lafontaine, petite musique urbaine, à Radio-Canada, le dimanche 10 juin, 22 h 30.
TÉLÉ
Cet été, Télé-Québec présente chaque dimanche un documentaire, presque toujours tourné au Québec. Cette semaine, Un sur mille, un film sur la démarche intellectuelle et artistique de René-Daniel Dubois. Triomphe de la pensée libre. Un sur mille, à Télé-Québec, le dimanche 10 juin, 20 h 30.
Un mystérieux film sur les dragons, tourné autour d’un certain Dr Willem Heurtz. Celui-ci, dans les années 30, aurait dédié un musée aux dragons. Il n’en resterait plus qu’un curieux film d’archives datant de 1938, et dans lequel le "scientifique" nous fait visiter son musée. À vous de faire la part des choses entre la fiction et la réalité… Portraits: Le musée des dragons, à ARTV, le samedi 9 juin, 18 h.