Nous, les singes
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Nous, les singes

En 1920, l’humoriste américain Clarence Day publiait un essai sur la nature humaine, This Simian World (Nous, les singes, en français). Il y allait d’une réflexion amusante: "Et si l’homme ne descendait pas du singe, mais d’un autre animal, du chat, de la fourmi, ou encore de l’éléphant? Quelles en auraient été les conséquences sur notre monde?"

Par exemple, si les félins avaient gagné à la loterie de Darwin, s’ils avaient atteint notre niveau d’évolution, leurs sociétés auraient probablement compté beaucoup d’ermites et de solitaires nocturnes. Et pour régler leurs conflits, les duels auraient certainement été plus courants que les joutes oratoires… En somme, les chats auraient façonné le monde à leur image.

Malheureusement pour les minous, c’est une espèce de singes – ces bestioles maladroites, peureuses et tapageuses – qui a été choisie pour dominer la planète. Le monde civilisé pense donc comme un primate.

Nous, les singes, aimons communiquer. Pour ce faire, nous avons inventé des langages complexes, puis l’écriture, la littérature, la poésie. Nous avons par ailleurs conçu toutes sortes de moyens pour diffuser nos précieux messages, du pigeon voyageur au blogue.

Or, si nous, les singes, aimons communiquer, c’est surtout par désir de se faire voir, de se faire entendre. Pour y parvenir, certains seraient même prêts à n’importe quelle singerie.

Tenez, un exemple: trois soirs par semaine, à l’émission Que feriez-vous pour 100 piasses? (TVA), des singes se font voir. L’autre soir, j’ai vu une jeune femme roter dans différentes tonalités. Cela, devant des centaines de milliers d’autres singes, rivés à leur petit écran. Typiquement primate comme comportement.

Bref, parce que nous aimons communiquer, nous, les singes, sommes des êtres sociaux. Nous aimons la compagnie. Beaucoup plus que les chats. Puisque nous avons l’esprit de groupe, avec le temps, nous avons fini par créer des villages, puis des villes, puis des métropoles…

Paradoxalement, au cours de cette belle évolution, nos cerveaux de singes sociaux ont inventé des technologies qui ont contribué à nous isoler davantage.

Nous nous sommes construit des cabanes confortables et sécuritaires. De beaux cocons dotés de cinémas maison. Nous sortons moins, préférant la compagnie de notre collection de DVD à celle des potes. Les sorties en famille ont été peu à peu remplacées par la télé. Nous avons même des chaînes spécialisées: Canal D pour papa, Canal Vie pour maman, Vrak.tv pour l’ado. Chacun sa télé! Du coup, on s’isole au sein même de son clan. Selon de récents chiffres de Statistique Canada, 24 % du déclin du temps passé en famille serait attribuable au fait que les singes écoutent la télévision seuls, plutôt qu’avec un membre de leur famille.

Pour nous, les singes, cet isolement est peut-être douillet, mais nous avons toujours ce besoin irrépressible de communiquer, de voir du monde et de nous faire voir du monde…

C’est donc sans surprise que je constate l’engouement autour de Facebook, ce réseau social en ligne qui fait fureur ces temps-ci.

Lancé en 2004, Facebook a aujourd’hui une moyenne de 24 millions de visiteurs dans le monde (Media Metrix). Et chaque visiteur fréquente le site en moyenne 22 fois par mois.

Facebook est un site conçu pour nous, les singes. On s’y trouve des amis. On y partage ses goûts ou son état d’esprit. On retrouve d’anciens collègues de classe ou de travail. On se mêle à des groupes d’intérêts. On communique. On se fait voir. On finit par passer des heures à tisser un réseau social virtuel.

Pourquoi ne pas passer au réseau social réel? Parce que Facebook est le produit d’une société de singes qui vivent en cocon depuis trop longtemps. Or, si 24 millions de personnes perdent un temps fou à tenter d’entrer en contact avec d’autres personnes, c’est peut-être parce que nous, les singes, en avons marre d’être seuls. Dans notre bulle, on trouve le temps long. Facebook m’apparaît donc être un moyen de manifester notre désir de retrouver la bande, la tribu, le groupe.

Un moyen maladroit, certes, mais nous sommes des singes après tout!

Facebook
[www.facebook.com]

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CETTE SEMAINE À LA TÉLÉ

Chez Schwartz, la vie à l’intérieur de la célèbre place à smoked-meat du boulevard Saint-Laurent. Un documentaire présenté à Télé-Québec, le dimanche 17 juin, 20 h 30.

Les tomates voient rouge, ou les problèmes de l’alimentation industrialisée à travers l’histoire de la tomate. Un documentaire présenté à Télé-Québec, le lundi 18 juin, 20 h.