La saison des marronniers
Jadis, au Cours-la-Reine à Paris, un marronnier rose, planté sur la tombe des gardes suisses massacrés par les émeutiers républicains le 20 juin 1792, avait l’habitude de fleurir chaque année, très exactement le premier jour du printemps. Chaque fois, l’événement donnait lieu à un billet de circonstance dans la presse.
C’est la raison pour laquelle, en journalisme, on appelle "marronniers" ces reportages qui rappliquent annuellement, à date fixe.
Ainsi, le 26 décembre de chaque année, des journalistes sont dépêchés aux portes des grands magasins pour couvrir le Boxing Day et ramener des commentaires de gens qui se sont levés tôt pour profiter des soldes…
Au jour de l’An, il y a l’incontournable vox pop: "Avez-vous pris des résolutions cette année?" Le 2 février, les plus crédibles de nos chefs d’antenne perpétuent en choeur la superstition du jour de la marmotte. Après le long week-end de Pâques, c’est le traditionnel "bilan meurtrier sur les routes du Québec".
On a aussi la rentrée scolaire en septembre, les bilans de l’année à la fin décembre, la période des REER, le ménage du printemps… Et tous les 31 octobre, on ne saurait rater l’occasion de raconter les origines de l’Halloween.
Or, l’été est la grosse saison des marronniers.
Tout commence le 24 juin, avec la Fête nationale. Dans nos médias, ce sera l’occasion d’y aller de reportages classiques sur la signification et le caractère inclusif de cette fête. Si possible, on trouvera quelqu’un de couleur (exemple: Luck Mervil) pour nous dire que la Fête nationale est la fête de "tous les Québécois".
Quelques jours plus tard, le 1er juillet, ce sera le marronnier de la Fête du Canada. L’angle d’approche sera différent. On se demandera surtout si les Québécois se sentent concernés par la Fête du Canada.
Sauf que le marronnier de la Fête du Canada sera éclipsé par un autre marronnier bigrement plus intéressant: celui des déménagements du 1er juillet. On verra des images de rues remplies de camions de déménagement, on aura le reportage sur les cols bleus de la Ville qui en ont plein les bras avec le ramassage des déchets encombrants. Et si on veut faire original, on aura peut-être même une entrevue avec un propriétaire de pizzeria qui dira, ô surprise, que le 1er juillet est une bonne journée pour son commerce.
Par ailleurs, au cours de l’été, on ne ratera certainement pas le reportage sur les "lectures d’été". Le journaliste consciencieux aura aussi prévu son article sur la hausse du prix de l’essence à l’approche des vacances de la construction.
Et bien sûr, c’est prévisible, on aura cet été nos "articles de canicule".
À ce sujet, j’étais avec des copains journalistes l’autre jour. On parlait justement du marronnier des canicules. Plus particulièrement du célèbre reportage récurrent: "Comment se protéger lors d’une canicule?" Vous savez, ce grand reportage d’intérêt public qui nous conseille de boire beaucoup d’eau, de chercher l’ombre et d’éviter l’activité physique trop intense?
On se demandait quel genre de lecteur était suffisamment épais pour ne pas savoir qu’il vaut mieux s’hydrater quand il fait chaud.
Le plus vieux des journalistes parmi nous a alors lancé: "Les journaux servent avant tout à créer les conversations de la journée." Les journaux ont l’obligation d’aborder les sujets de la vie courante, et ce, aussi routinière que puisse être la vie courante… En somme, les médias radotent parce que le monde passe son temps à radoter.
Donc, même s’il y a des canicules tous les étés, qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et que tout le monde sait qu’il vaut mieux s’hydrater, les médias doivent en parler.
N’empêche, on pourrait être plus original. Tenez, j’ai appris d’un ami haïtien un truc pour survivre aux canicules: mangez épicé afin de suer à grosses gouttes et déposez des feuilles de laitue sur votre nuque. Vous m’en donnerez des nouvelles!
RADIO
On se roule dans du Sylvain Lelièvre tout l’été à la Première Chaîne. En sept émissions, le parcours de l’auteur-compositeur disparu il y a déjà cinq ans. Animé par Michel Rivard. Sylvain Lelièvre, le chanteur libre, Première Chaîne, dès le samedi 7 juillet, 15 h. En prime, chaque samedi à 23 h, une émission musicale 100 % Lelièvre.
TÉLÉ
Un autre portrait de musicien, celui-là bien vivant: Vic Vogel, figure emblématique du jazz d’ici. L’Homme de cuivre, Vic Vogel, Radio-Canada, le dimanche 8 juillet, 22 h 30.