À qui appartient le paysage?
Depuis quelques mois, São Paulo respire mieux. C’est que la métropole brésilienne a décidé d’interdire l’affichage extérieur. Désormais, les 15 000 panneaux publicitaires qui tapissaient la ville de leurs slogans n’obstruent plus le paysage.
São Paulo est libre, mais les vestiges de décennies d’affichage sauvage sont encore visibles. De grandes pancartes vides ici. Des squelettes d’enseignes lumineuses là. Sur certains immeubles, on discerne encore l’ombre laissée par le panneau-réclame, comme la marque d’un cadre que l’on aurait retiré d’un mur après de nombreuses années.
Depuis l’interdiction de l’affichage extérieur, les citoyens de São Paulo redécouvrent leur ville. Les superbes immeubles art déco se révèlent. Tout comme les bidonvilles, que l’illusion publicitaire avait masqués aux yeux des citadins.
L’interdiction d’afficher à São Paulo fait partie d’un vaste plan municipal de lutte contre la pollution. "Nous avons décidé de commencer en combattant la pollution la plus apparente… la pollution visuelle", a déclaré le maire de la ville, Gilberto Kassab, cité dans la plus récente édition du magazine Adbusters.
São Paulo n’est pas la seule ville à avoir sévi contre la pollution visuelle.
En France, les panneaux-réclame sont interdits le long des autoroutes depuis belle lurette. En Allemagne et en Angleterre aussi. Un peu partout aux États-Unis, on a aussi libéré le paysage. Hawaii a banni les panneaux publicitaires dans les années 20. Le Maine et le Vermont ont retiré les leurs dans les années 70. Et en 1998, l’Alaska a emboîté le pas après un référendum. Scenic America, un groupe qui milite pour la conservation des paysages depuis presque 30 ans, estime par ailleurs qu’au moins 1500 municipalités américaines ont banni la construction de nouveaux panneaux sur leur territoire.
Parmi les arguments contre l’affichage publicitaire, il y a bien sûr la destruction de panoramas naturels au profit de la propagande marchande. Mais il y a aussi le fait qu’au contraire de la publicité dans les journaux ou à la télé, les compagnies d’affichage extérieur vendent aux annonceurs une chose dont ils ne sont pas propriétaires: notre attention.
Voyez-vous, entre le lecteur et son journal, il existe une entente tacite. Le lecteur profite d’un service (les articles du journal) en acceptant d’être la cible d’un certain nombre d’annonces. Ces annonces fournissent au journal des revenus qui lui permettent, présume-t-on, d’améliorer la qualité de son contenu et de réduire le prix de vente au lecteur. Grâce à la pub, certaines publications sont même gratuites. C’est le cas du journal que vous lisez en ce moment.
Or, si la pub vous emmerde, vous avez toujours la possibilité de laisser le journal dans son présentoir. C’est votre droit.
Ce n’est pas le cas avec l’affichage extérieur. Les compagnies d’affichage polluent le décor d’annonces que vous ne pouvez contourner. Et nos autorités locales ne font pas grand-chose pour contrer ce pillage panoramique. Est-ce parce que les compagnies d’affichage versent des sommes colossales aux municipalités pour jouir du droit d’afficher sur un lieu public? Nenni. Selon un porte-parole de la Ville de Montréal, les "loyers publicitaires" représentent des revenus d’à peine un million de dollars par an. Une goutte d’eau dans le budget.
Pour justifier leur omniprésence, les compagnies d’affichage revendiquent souvent la fameuse "liberté d’expression". Elles ont le droit de s’exprimer, de communiquer un message publiquement. C’est vrai.
Sauf qu’il y a quelques années, souvenez-vous, le gouvernement du Québec a interdit l’ajout de colorant jaune à la margarine. À l’époque, la compagnie Unilever s’était opposée à cette loi en faisant valoir que lui interdire la commercialisation de margarine jaune portait atteinte à sa "liberté d’expression". La Cour suprême du Canada a rejeté cet argument. Depuis, la loi québécoise continue d’interdire le jaune dans la margarine… à la barbe de la liberté d’expression.
Comme le rappelait le professeur de l’Université Concordia Jon Breslaw dans le magazine Urbanité de novembre 2004: "On peut croire que ce qui est valable pour le règlement provincial sur la margarine l’est certainement pour le règlement provincial sur les panneaux-réclame. En ce qui me concerne, plus vite on agira, mieux ce sera…"
TÉLÉ
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Le pôpa de La Petite Vie, Claude Meunier, a finalement accepté d’aller se raconter à René Homier-Roy. De ses années Paul et Paul à l’échec de sa série Détect inc., le créateur livre ici un rare entretien de fond. En deux épisodes. Viens voir les comédiens, à ARTV, le samedi 18 août, 20h.