Le pire de près
Médias

Le pire de près

"Si les photos ne sont pas assez bonnes, c’est qu’on n’est pas assez près", disait le grand photographe de guerre Robert Capa. De 1936 jusqu’à sa mort en 1954, le type a vu cinq guerres. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, lors du fameux Jour J (le 6 juin 1944), Capa était largué sur les berges de Normandie en même temps que des milliers de soldats américains. Il était près, et pas à peu près.

Robert Capa est mort jeune, à 40 ans, après avoir marché sur une mine pendant la guerre d’Indochine. Cette fois-là, il a été trop près.

Pour couvrir l’histoire de ces deux soldats morts en Afghanistan la semaine dernière, Patrice Roy ne pouvait pas vraiment être plus près de l’action. Le journaliste de Radio-Canada était aux premières loges, en direct du véhicule blindé qui a heurté un engin explosif. Il en est heureusement sorti indemne. Son caméraman, Charles Dubois, a eu moins de chance. Il y a laissé sa jambe.

L’incident nous a fait réfléchir sur les dangers du journalisme de guerre, et sur l’utilité d’envoyer des journalistes à Kandahar, malgré les périls.

Bien entendu, en tant qu’entité, les médias doivent couvrir un conflit dans lequel sont impliqués des soldats canadiens. Ils doivent le faire en envoyant sur le terrain leurs propres soldats: des journalistes. Des gens qui ont aussi des familles et des vies en dehors des nouvelles de 18h.

Je comprends pourquoi les médias couvrent la guerre. Mais, à l’échelle individuelle, quelles sont les motivations des journalistes qui risquent leur vie là-bas? Le font-ils seulement pour la cause de l’info? Pour l’adrénaline? Pour la notoriété?

Croient-ils que leurs reportages permettent au public de mieux comprendre les enjeux de cette guerre? D’ailleurs, les journalistes basés à Kandahar ont-ils vraiment les moyens de nous faire comprendre ce conflit?

C’est vrai. Pour l’instant, on couvre la prise d’une colline. On couvre les ennuis mécaniques d’un blindé. On couvre le rapatriement du corps d’un soldat québécois. Je suis désolé, mais on ne couvre pas la guerre en Afghanistan. On couvre le quotidien de soldats canadiens envoyés dans un bourbier qu’on a fini par appeler la "guerre en Afghanistan"…

C’est pour couvrir cela, que des journalistes risquent leur vie? À quoi bon?

Ces questions, ce n’est pas à Patrice Roy ou à son caméraman que j’aimerais les poser. Ces questions, je les poserais à James Nachtwey.

Il est un des plus grands photographes de guerre de notre temps. Le Robert Capa de notre époque.

Au cours du dernier quart de siècle, Nachtwey a été témoin de plus de guerres que bien des soldats. Il a été partout. En 1993, en Bosnie, il était juste derrière des miliciens croates qui faisaient feu sur leurs voisins musulmans. L’année d’après, il côtoyait des charniers au Rwanda. En 2000, il était sur les talons de Palestiniens qui lançaient des cocktails Molotov à l’armée israélienne. Et en 2001, il était à New York, un certain 11 septembre…

James Nachtwey a été blessé à plusieurs reprises au cours de sa carrière. Il a aussi chopé des maladies terribles. Le type a tout donné à son métier. Il n’a jamais eu le temps de fonder une famille. Il a toujours travaillé seul. Il parle peu. Ses photos témoignent pour lui.

Pourquoi fait-il cela? Pourquoi consacrer sa vie à documenter le pire de l’humanité? Pourquoi frôler la mort pour une photo qui se retrouvera dans les pages d’un magazine, à côté d’une pub de Rolex? À quoi bon?

James Nachtwey se pose ces questions depuis vingt-cinq ans. Il n’arrive pas à être "heureux" de son travail, car celui-ci implique la souffrance des autres. À tout le moins, il espère que ses photos ont attiré l’attention sur certains problèmes. Il aurait pu devenir cynique. Il n’a pourtant jamais perdu son optimisme. En fait, il croit toujours que le Bien finira par triompher du Mal, et que son appareil photo est une arme de paix. Quand James Nachtwey s’en va-t-en guerre, il s’en va pacifier le monde…

Il y en a qui parlerait de naïveté, mais c’est l’idéalisme qui a poussé Nachtwey à côtoyer le pire de près pendant toutes ces années.

En temps de guerre, un journaliste ne risque pas sa vie parce que c’est son "devoir d’informer". À mon avis, comme James Nachtwey, il souhaite aussi changer le monde…

Photographe de guerre, à Télé-Québec, le dimanche 2 septembre, 20h30.

Site de James Nachtwey [www.jamesnachtwey.com]

Pour comprendre un peu mieux comment une mission de paix est devenue une mission de guerre, voyez Mission Kandahar: Le Canada en guerre, à Radio-Canada le lundi 3 septembre, 19h.

ooo

TÉLÉ

À Dossiers Justice, un retour sur l’histoire de Marielle Houle, cette mère qui a tué son fils malade en 2004 afin d’abréger ses souffrances. À Canal D, le jeudi 30 août, 20h.