Des agents immobiliers
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Des agents immobiliers

C’est bien connu, les journalistes sont des paresseux, des fouille-merdes, des pisse-copies, des retranscriveux de communiqués et des propagandistes à la solde de la pub, de Quebecor, de Power Corporation, des néolibéraux, des syndicats, de la gaugauche et de l’armée canadienne.

Ah, oui, j’oubliais. Les journalistes sont aussi des vautours. C’est ce que nous apprenait la semaine dernière l’émission Enquête (SRC), qui s’est penchée sur la couverture médiatique de la fusillade de Dawson. Bon, lorsqu’on envoie un hélicoptère de TVA tournoyer pendant des heures au-dessus d’un cadavre, disons que l’analogie avec le vautour n’est pas à ce point tirée par les cheveux.

Selon Léger Marketing, seulement 48 % des Canadiens feraient confiance aux journalistes. C’est deux points de plus que pour les agents immobiliers.

Dans l’opinion publique, ce qui sort de la bouche d’un agent immobilier a donc presque autant de valeur que ce qui sort de la bouche d’un journaliste.

Sachant que ce qui sort de la bouche du journaliste est en grande partie responsable de la vision que le public se fait du monde, la statistique a de quoi inquiéter.

Le doute est sain, mais l’actuelle méfiance envers les journalistes frise le cynisme. Des agents immobiliers, les journalistes? J’achète pas ça.

Si les deux métiers nécessitent une bonne dose d’entregent, il existe tout de même entre eux quelques différences.

D’abord, le motif. Pourquoi souhaite-t-on devenir journaliste en 2007? Pour le fric? J’espère que non (on risque d’être déçu). Pour la notoriété? Croyez-en mon expérience, c’est plutôt tranquille du côté des demandes d’autographes.

Alors, pourquoi devenir journaliste?

Traitez-moi de biaisé, de naïf ou – pire – de journaliste, mais ceux qui veulent devenir journalistes en 2007 sont d’abord mus par le désir de fournir au public une information libre, neutre et rigoureuse.

Voilà les motivations de ces pousseux de crayon. Une preuve? L’an dernier, au congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), les participants ont réfléchi sur les limites de la liberté d’expression, sur la rigueur dans les blogues et sur le ton alarmiste utilisé par les médias, qui crée un sentiment d’insécurité exagéré au sein de la population.

Voilà les intérêts des journalistes: améliorer la qualité de l’information que reçoit le public.

Sans les juger, force est d’admettre que les agents immobiliers ont d’autres motivations. En avril dernier, au congrès de l’Association des courtiers et agents immobiliers du Québec, les participants ont eu droit à une conférence portant sur les meilleures techniques pour séduire les femmes (qui prennent 80 % des décisions d’achat d’une maison) et à une autre sur les moyens de contrer la popularité de la vente par le propriétaire (une plaie pour les agents).

Voilà les intérêts des agents immobiliers: améliorer la situation financière des agents immobiliers.

L’un travaille pour la population, l’autre travaille pour sa poche.

Sauf que si les motivations des journalistes sont nobles, c’est sur le terrain que ça se gâte. Le journalisme est en santé, c’est l’environnement dans lequel il fleurit qui manque de soleil.

Le journalisme est aujourd’hui contraint de s’exprimer dans une industrie qui n’en a que pour le profit. Une industrie où la course au lectorat et à la cote d’écoute pousse les patrons des médias à couper dans les ressources, à couper dans la qualité du contenu. Une industrie où la pression des annonceurs se fait de plus en plus forte.

Tenez, j’ai entendu une histoire récemment. Un magazine soi-disant sérieux a envoyé à ses journalistes pigistes une note les invitant à communiquer avec le service des ventes dudit magazine. Pourquoi? Pour que les représentants puissent "aider" les journalistes à bien parler des produits des annonceurs à l’intérieur de leurs articles.

Devant une telle requête, le journaliste rempli de bonnes intentions – mais qui réussit à peine à gagner 20 000 $ par an – risque de ravaler son éthique. On ne mord pas la main qui nourrit.

En revanche, celui qui refuserait de jouer les courroies de transmission pourrait finir par trouver le journalisme pas très nourrissant. Au bout d’un moment de ce régime, il pourrait être tenté de se recycler en agent immobilier.

De toute façon, pour le public, c’est du pareil au même.

ooo

TELE

Patrice Roy

Pour sa première, la nouvelle grande émission sur l’actualité internationale animée par Jean-François Lépine revient sur la triste aventure afghane du journaliste Patrice Roy et de son caméraman Charles Dubois. Une heure sur terre, à Radio-Canada, le mercredi 26 septembre, 21h.