Est-ce le produit du metteur en scène Robert Lepage ou celui de Peter Gelb? Ce dernier semble avoir pris les rênes du Metropolitan Opera avec panache et n'a pas peur d'enfourcher le cheval d'une walkyrie pour imposer sa volonté artistique à titre de directeur général du prestigieux établissement new-yorkais. Le Met doit se rajeunir et attirer un nouveau public, c'est impératif afin d'assurer sa pérennité.
Ainsi donc, la nouvelle production de L'Anneau du Nibelung du compositeur Richard Wagner – composé d'un prologue opératique intitulé L'Or du Rhin et de trois opéras: La Walkyrie, Siegfried et Le Crépuscule des dieux – est devenue un défi technologique, conceptualisé par le scénographe Carl Fillion d'Ex Machina et représenté par une structure de plus de 40 tonnes: 24 paliers amovibles fixés sur un arbre central supporté par deux colonnes latérales afin de le déplacer de haut en bas.
En assistant à la première de La Walkyrie au Metropolitan Opera à New York le 22 avril dernier, on pouvait constater que le vrai test avait lieu pour cette entreprise qui a débuté avec la présentation de L'Or du Rhin l'automne dernier. Place maintenant au premier chapitre de la tétralogie, qui est caractérisé par Wotan, Brünnhilde (la walkyrie en question) et les jumeaux Siegmund et Sieglinde, les principaux personnages.
Ce nouveau cadre scénique est imposant et les projections vidéo qui habillent les 24 paliers déterminent effectivement une nouvelle avenue pour l'opéra. Toutefois, le décor que cette structure confère à la scène lui donne parfois un aspect dépouillé et symbolique. Ainsi, cette forêt qui ouvre le premier acte et enveloppe l'affrontement entre Hunding et Siegmund au deuxième est représentée par 24 troncs droits et perchés vers le ciel, revêtus par une écorce virtuelle. La demeure de Hunding (interprété par l'excellente basse Hans-Peter König), elle, se limite au toit: une quinzaine de troncs surélevés à l'horizontale.
C'est lorsque qu'apparaît Wotan au deuxième acte que la "machine" s'offre en spectacle pour la première fois. Une montagne se dévoile et celle-ci se décline ensuite en escalier, offrant deux perspectives différentes. Au sommet, le baryton Bryn Terfel (Wotan) invoque Brünnhilde, que la soprano Deborah Voigt interprétait pour la première fois. Celle-ci, au pied de la structure, apparaît et lui répond avec le célèbre "Ho-jo-to-ho", pose le pied sur la première marche, et trébuche au sol… Elle se releva à la seconde, jouant la jeune écervelée qui fait fi du décorum en face de son dieu de père. Une chance.
Voilà peut-être ce qui caractérise les limites de cette production faste: les interprètes peinent à l'apprivoiser. Lorsque cette "machine" se met en mouvement pour prendre la forme voulue, les paliers restent instables et donnent du fil à retordre aux interprètes. Bryn Terfel est sans doute celui qui tente le mieux d'en faire abstraction, lance à la main en guise d'appui. Mais Voigt fut mise à l'épreuve. Son acharnement, lors de cette première, fut épatant, une battante.
Le troisième et dernier acte nous réservait la surprise de cette mise en scène signée Robert Lepage. La chevauchée des walkyries avait tout pour nous réconcilier avec un deuxième acte parfois statique (ponctué d'un gigantesque oil central lors de la plaidoirie de Wotan), mais qui nous avait dévoilé le talent du ténor Josef Kaufmann sous les traits de Siegmund. Le rideau se lève et huit piliers sont alors devenus des têtes de chevaux, bougeant de haut en bas pour accompagner la célèbre musique dirigée par le chef d'orchestre James Levine. Huit walkyries y étaient perchées, brides à la main. Brünnhilde suivit (avec Sieglinde en croupe) sur deux piliers centraux en mouvement et les 22 autres en guise d'ailes. Un tableau percutant.
Tout comme celui du rocher enflammé, toujours au troisième acte, où Brünnhilde se retrouve, condamnée par Wotan pour l'avoir trahi. La doublure de Deborah Voigt est alors disposée, tête vers le bas, en face de nous en hauteur sur deux troncs, les autres en mouvement avec le feu en guise de projection visuelle pour les revêtir. La conclusion créera l'émoi dans la salle.
Notons que cette première a consacré le talent du chef d'orchestre James Levine, applaudi à tout rompre. La mezzo-soprano Stephanie Blythe (qui interpréta la déesse Fricka bien assise sur un trône qui surplombait la scène) eut droit au même traitement. Plus difficile pour Terfel et Voigt, toutefois appréciés par le public (tout comme Robert Lepage), qui semblaient importunés par une mise en place de fortune lors de cette production de plus de cinq heures. Pas de chance pour la soprano Eva-Maria Westbroek (Sieglinde) qui a dû quitter la scène au deuxième acte et fut remplacée par Margaret Jane Wray.
Le spectacle est bel et bien au rendez-vous, seul l'opéra et Wagner en souffrent par moments. Mais parions qu'avec le temps cette production finira par s'imposer. Pas le choix, le Met doit avoir raison.
L'opéra Die Walküre sera présenté au Cineplex Odeon le 14 mai à midi. En supplémentaire les 18 juin et 11 juillet.
***Photo Ken Howard / Met