Jouons cartes sur table: je ne suis pas douée pour le rire. Contrairement à d'autres plaisants individus de ma connaissance, je n'ai pas les clochettes qui résonnent à la moindre blague, au simple fait cocasse ou à toute entourloupette. Pour tout dire, je fais une piètre spectatrice d'humour, riant plutôt là où le comique n'est pas prémédité. Pourquoi participer à l'atelier Riez sans raison du Club de rire de Montréal, alors? Parce que le yoga du rire ne concerne en rien l'humour, mais a tout à voir avec cette convulsion naturelle innée qui fait travailler les muscles du visage, du diaphragme et de l'abdomen. Thérapie par le rire simulé, mode d'emploi.
Ho-ho, ha-ha-ha!
La simple idée de devoir émettre des rires forcés m'épuise. Comment allais-je y survivre pendant une heure? Nous sommes 12, dont la moitié vit son baptême: des trentenaires, deux sours ayant suivi la formation, puis des hommes, pour la plupart dans la quarantaine. Prêts à plonger pieds nus dans l'arène de cette loufoque cérémonie, nous formons un cercle. François, l'animateur, résume la technique et nous en expose les règles: on ne doit pas parler, on doit rire à sa demande, on doit chercher le contact visuel avec les autres et on ne doit prendre personne pour tête de Turc. Livrées avec humour, les règles révèlent tout de même le sérieux de la pratique. Nous amorçons les étirements et exercices de respiration. S'ensuivent des imitations de sons d'exclamation, avant d'entonner le rythmé mantra: Ho-ho, ha-ha-ha! en tapant des mains. Les rires en canne fusent ensuite sur commande au fil des exercices variés. Je m'efforce de faire des sons qui ressemblent à mon rire naturel. Quelle tonalité a-t-il au juste?…
On rigole ensuite en se tapant sur une cuisse, puis sur l'autre; on imite la poule, le singe, la vache; on feint des rires typés (l'Ontarien, le vieux grincheux, les aigus du Mexicain, le rire bien gras du Québécois). Je ne me serais pas trompée de classe pour celle d'art dramatique de première secondaire? Je veux bien laisser le temps à mon corps de sécréter les endorphines dopantes du rire, mais l'effet extatique se fait attendre… D'autres exercices ludiques se succèdent: on danse librement sur une chanson giguante et on ricane bruyamment lorsqu'elle s'arrête; on saute à pieds joints dans le rire puis on s'en retire; on se regarde dans les yeux en essayant de ne pas rire; on court dans la pièce en ricanant; on se pompe le rire en crescendo… Ho-ho, ha-ha-ha! le mantra revient comme pour marquer les chapitres de l'atelier. La classe me rappelle le camp de vacances alors que les moniteurs rivalisaient d'inventivité pour occuper de grouillantes boules d'énergie: des exercices du genre faisaient des miracles! Ici, on retrouve ce même aspect défoulant, ce cour d'enfant, cette absence d'inhibitions. Encore quelques exercices (comme l'universel "cocktail de rires") et j'apprivoise la méthode: le stress me sort enfin par les pores, je laisse tomber mon examen de conscience et de corps…
On se retrouve allongés au sol, têtes rapprochées. C'est le moment de sortir ce qui reste d'éclats hilares. Ainsi placée, je trouve enfin le "piton" pour rire follement, non pas naturellement, mais comme je le fais lorsque qu'il m'emporte. Je maîtrise si bien cette escalade que les larmes me montent aux yeux, explorant différents types de rires de mon répertoire. Mes compères comiques semblent vivre le même délire… Encore quelques gaies secondes et l'animateur nous dirige vers la méditation. Dans mon ventre, je ressens cette agréable boule d'euphorie comme quand on a trop ri. Je ne cherche pas la détente, mon corps est déjà béat de ce "jogging interne" auquel il vient de se livrer. Il paraît que les bienfaits physiques et psychologiques sont les mêmes, que le rire soit simulé ou spontané… J'en ressors effectivement reposée, mais aussi vidée, comme si je m'étais adonnée à un exercice physique exigeant.
Album-souvenir /
– Cette envie irrépressible de bâiller: non pas que je m'ennuie ou m'endors, mais le visage semble vouloir s'étirer, lui aussi! Chaque particule vibrante de mon corps bâille d'aise…
– Un rictus, cette fois pas forcé du tout, ne semble pas vouloir me quitter en fin d'atelier et tout au long de la soirée qui s'ensuit.
– Les rires authentiques sont arrivés lorsque le silence prenait de plus en plus de place: comme des gamins d'école, on badine devant l'interdit. Boute-en-train, allez!
Adresse /
Club de rire de Montréal: www.clubderiredemontreal.com
Atelier Riez sans raison tous les jeudis à 18 h au Studio Bizz. Ouvert à tous en tout temps. 5 $, l'entrée.