Ballon d’essai

Bleue comme une orange

Ce poème surréaliste de Paul Éluard, La Terre est bleue comme une orange, me revenait en tête au moment de visiter l'exposition Bleu au Musée d'art contemporain. Arborant le sarrau multicolore d'usage des Mardis créatifs, je parcourais l'exposition monochrome, cherchant quelque trace d'inspiration pour l'atelier qui allait suivre. Je me fondais ainsi, par un mardi après-midi, au sein d'un groupe d'une quinzaine d'habituées, toutes des femmes, de la retraitée à la travailleuse du centre-ville passionnée des arts.

Coups de spatules

Une visite interactive nous dévoile cette exposition de la série Points de vue sur la collection où un jeune commissaire invité (ici Marie-Ève Beaupré) fouille dans la collection du Musée pour mettre sur pied une exposition thématique. La forte présence du bleu, comme couleur mais aussi comme concept, a incité cette dernière à regrouper des ouvres sous ces quatre lettres. Quatre salles hébergent Bleu. Les premières sont vastes et donnent toute la place à une seule ouvre. Dans la dernière, une vingtaine de tableaux disparates sont accrochés à différentes hauteurs, un peu à la manière des salons du 18e. On reconnaît la patte des Yves Gaucher, Claude Tousignant, Rita Letendre, Guido Molinari… Mais la guide attire notre attention précisément sur la toile Composition en bleu de Marcelle Ferron. Voilà le tableau dont nous nous inspirerons, avec ses couches, ses grattages, ses additions et soustractions, laissant à penser qu'il a été réalisé fiévreusement. S'inspirer d'un tableau abstrait réalisé à la spatule par une artiste automatiste signataire de Refus global: ça me plaît! Dernier coup d'oil pénétrant à la toile, comme si elle pouvait me souffler ses secrets, et je gagne la salle de l'atelier.

Les pots de peinture acrylique, dans une variété de bleus, sont déjà sur les tables, à côté de spatules de toutes les formes. L'animateur procède à une démonstration: choisir d'abord une couleur d'accent avant d'exploiter la gamme des bleus. Sous nos yeux, et en quelques minutes, il réalise une peinture abstraite étonnante. À notre tour de jouer des spatules dans un geste ample, vif, expressif, "automatique". "Je vous invite à travailler debout, pour plus de liberté dans le geste", suggère-t-il.

Je prends un carton et opte d'abord pour un gris sombre et une spatule pointue. Maladroite, j'essaie de ne pas trop réfléchir et de me laisser porter. Assez de grisaille, je plonge dans les bleus: je les choisis d'abord foncés, puis plus vifs. Je change constamment d'outil pour voir comment les autres spatules (rondes, en plastique, en métal) réagissent, découvre une façon de rayer, de gratter; dépose une plus grande quantité de peinture ici; efface ce que j'ai apposé là. J'appréhende alors ce moment qui décide que c'est terminé. Comment savoir? Encore un peu de tripatouillage et je lève la main. D'un oil discret, je surveille le va-et-vient de mes comparses qui portent leur création au séchoir géant. Je les imite. Sous mes yeux: une explosion de couleurs sur papier.

Il reste suffisamment de temps pour une autre tentative. J'opte alors pour un canevas plus petit, vertical, et je m'éprends d'un rouge vif. Étonnant comme celui-ci est expressif. Je termine en quelques minutes et recommence. J'expérimente un brun obscurci qui fraternise à merveille avec des bleus cyan, cobalt et saphir. Gourmande, je pousse l'effronterie avec deux derniers canevas: l'un dans des tons de bleu et d'orangé (tiens, Éluard!) et l'autre d'un jaune soleil écrasé par des bleus rageurs. Au fil de mon introspection, j'essaie de songer à ce qui m'émeut dans les compositions abstraites de Riopelle: une certaine puissance lyrique, l'émotion d'une couleur, le mouvement.

Je m'étonne du confort de cet "espace de création", de cet étrange silence dans lequel on choisit de s'engloutir respectueusement. À côté de moi, une dame chantonne comme pour rythmer son geste. D'autres se complimentent sur un choix de couleur, une technique employée.

Je m'abandonne ainsi comme une gamine à me tacher les doigts, à me tromper, à me satisfaire de peu. Je quitte le MACM dans le silence, avec encore de la peinture sur les doigts et un infini de bleu plein la tête.

Album souvenir /

Avant même de prendre place, la nervosité m'a envahie. Je n'avais pas touché à l'art plastique depuis la petite école, cette même période où je suivais assidûment des cours de dessin à l'atelier Samir Kachami. Souvenirs, souvenirs. Allais-je avoir le courage de l'enfance de jouer avec les composantes, d'expérimenter?

– Je repasse quelques jours plus tard cueillir les fruits de ma hardiesse. Les couleurs sont différentes, comme si elles étaient "tombées" sur la feuille.

– Et si je mettais mes images sur les murs de mon appartement comme s'il s'agissait d'ouvres d'artistes prometteurs, est-ce que mes amis y verraient des ouvres soignées ou de simples gribouillis d'amateur?

Adresse /

Musée d'art contemporain de Montréal: 185, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal, 514 847-6226, www.macm.org

Encore deux Mardis créatifs à l'agenda en 2010: le 30 novembre et le 7 décembre. Inscription obligatoire: 514 847-6266