Robin des bois. Ce héros mythique de Nottingham, prince des voleurs, détroussait les plus fortunés pour redistribuer aux pauvres et aux opprimés. Noble cause dont les fondements nous titillent la conscience, spécialement durant les fêtes, période d'opulence où l'on nous sollicite de toutes parts. Le temps restera, le plus souvent, le plus beau et le plus concret des gestes altruistes à poser. Le "resto bienfaiteur" Robin des Bois incite à un bénévolat indirect, ludique et accessible, mais ô combien édifiant. 100 % des profits de cette entreprise communautaire sont remis à six organismes locaux ouvrant auprès de gens vivant la pauvreté et l'itinérance. Ici, on donne sans compter. Et ce, à l'année longue.
Main à la pâte
Aucune expérience préalable n'est requise. On s'inscrit simplement en ligne pour un des trois quarts de travail de la journée et pour une fonction: cuisine ou service aux tables. Souhaitant tomber sur une soirée animée, j'opte pour un jeudi comme serveuse. "Totalement novice!" ai-je envie de cocher. Je passe tout de même par la cuisine une heure avec de commencer pour faire mes classes. Après une visite des lieux et l'énoncé des règles de base (compostage, récupération), le chef Mathieu Deschamps me remet un couteau dentelé et une baguette de pain tout en m'exposant les valeurs de la cuisine du Robin: locale et bio autant que possible, créée à partir d'aliments bruts, de saison. Je presse ensuite du citron et en découpe le zeste pendant qu'il me cause de sa flamme à travailler dans un environnement aussi enrichissant. "Dans les écoles de cuisine, on ne nous apprend pas la pédagogie, la patience", relève-t-il. Après avoir ciselé des oignons verts, je boude presque en voyant l'heure: je n'aurai pas le temps de mettre la main à effilocher les cuisses de canard confites!
En salle
Je passe de l'autre côté du miroir. En sirotant un café latté préparé avec soin par Valérie, au bar ce soir, mon compagnon – autre novice que j'ai entraîné dans l'affaire! – et moi nous familiarisons avec le menu du soir. Petit entraînement éclair: sous la supervision du gérant, nos tâches se résument à prendre et à servir les commandes des clients, à voir à l'eau, au pain et à leur bien-être. "Servez-les comme vous aimez être servi", lance le gérant Charles, nous enjoignant d'adopter une attitude zen: les gens viennent ici pour avoir du bon temps, relax. Mon cour palpite pourtant de nervosité!
Les premiers clients arrivent. Je souhaite la bienvenue à quatre dames venues se restaurer avant le théâtre… Aussitôt les soupes du jour prêtes, Jean-Reynald sonne la cloche: seul signal qui invite à l'empressement; on sert les plats alors qu'ils fument, peu importe à qui la table. Deux sections de la salle se remplissent tranquillement, la soirée prend du rythme. J'hériterai notamment d'une table de copines venues fêter Noël avec enthousiasme, d'un couple d'anglophones végétariens-bio-équitables-super-sympas, et d'une table de six. À la petite tablette de commandes, Émilie – autre gérante de service – me remet alors une grande feuille et un plateau. Ouf. Le père de famille commande une bouteille de vin: Valérie m'encourage à la servir comme une pro. J'y vais à reculons et peine à manouvrer adroitement… Verres inégaux.
Je prends de plus en plus de plaisir à servir mes clients, comme si j'étais entièrement responsable de leur bonheur. En vraie mère de famille, je prends racine et me sens partie prenante de son écosystème. Je sers des plats – la "cochonesque" au menu du soir est spectaculaire! – comme si je les avais préparés moi-même. Mine de rien, Charles et Émilie veillent à toutes nos carences – comme de desservir mes tables, trop obnubilée que je suis par mes ouailles toujours présentes!
Je me mets soudain à observer la faune urbaine, le merveilleux rituel du repas: comment on discute, boit, mange, vit… Mon amour des restos, de la bonne bouffe, des ambiances feutrées de bistro se transmet dans mon service… Si bien que ma table de six n'y voit que du feu. Incrédules, ils n'apprendront qu'en fin de soirée qu'ils ont affaire à une non professionnelle. "Et le pourboire, alors?" Votre don pour la bonne cause, cher monsieur! Le rythme ralentit, les derniers clients goûtent les ravissants desserts. Nous dressons les tables, essuyons des verres au bar… puis fermons boutique.
Petit verre de rouge Will Scarlett (membre de la bande des Joyeux Compagnons de Robin des bois) à la main, on termine cette soirée remplie par un repas avec l'équipe: Mathieu nous prépare un plat d'aiglefin à la cajun. Moment privilégié ponctué de rires avant de rentrer dans la nuit déjà avancée…
Album-souvenirs /
-Une erreur dans une commande a fait en sorte qu'on a hérité en début de soirée d'une soupe dhal – une entrée vedette chez Robin. Un délice!
-Mon homme s'est fait prendre par un client pince-sans-rire qui lui a demandé de goûter sa soupe, tel que le veut une tradition juive. Désemparé, il lui offre d'aller chercher le gérant… Boutade qui visait finalement à lui indiquer que les bols de soupe avaient été servis sans cuillères. Coupable! Désolée, chéri.
-Pour les anniversaires, Robin des Bois a une formule unique: une assiette est remise au fêté qui doit écrire tous les tracas de l'année passée, pour ensuite la fracasser contre un mur de béton dans la "salle de défoulement". La jeune fille fêtée ce soir-là en avait gros sur le cour!
Adresse /
Robin des Bois: 4653, boulevard Saint-Laurent, Montréal, 514 288-1010, www.robindesbois.ca