Ballon d’essai

Village de sucre en montagne

On m'avait soufflé, entre les branches, que la Montérégie était une "pépinière" à érables qui en faisait une destination de choix pour la saison des sucres. Pour un avant-goût de cette activité familiale sans pareille, j'ai choisi la cabane à sucre la plus typique – la Sucrerie de la Montagne à Rigaud -, et une des rares qui offrent aussi l'hébergement. Je ne pouvais alors me douter que j'allais surtout y faire la rencontre d'un homme et son histoire, en plus d'effectuer un retour dans le temps presque sans faille.

Récits et sirop d'érable

Pour cette escapade pré-printanière, c'est le grand frère – la dent sucrée de la famille – qui m'accompagne malgré son entorse à la cheville. Nous pénétrons dans le "village" à pas de tortue: quatre chalets, une maison de ferme, un magasin général, une cabane à sucre, trois salles de réception… Dès l'entrée principale de la Sucrerie, nous sommes frappés par l'ambiance. Tout, dans les moindres détails, nous ramène au siècle dernier: éclairage tamisé, instruments de forgeron, photographies anciennes, vieux barils de bière… Une gentille dame nous remet la clef de notre logis: la "cabane de l'amour" – fraternel, cette fois! -, plutôt une maison originale de Rigaud datant de 225 ans. On explore les lieux tels de vrais enfants: une table, un vieux métier à tisser, un lit sur le mur – c'est là que nous veillerons! -, une chaise berçante, des livres À lire sur l'étagère, le poêle à bois; au deuxième, deux petits lits doubles – c'est là que nous dormirons! Après avoir préparé un chocolat chaud à mon pauvre estropié qui allume le feu, je m'aventure à raquettes sur L'Escapade, le réseau des sentiers de la montagne de Rigaud qui s'étale sur 25 km, panneaux d'interprétation en sus. Je reviens au coucher du soleil, le parcours en petites côtes m'ayant creusé l'appétit.

Dans la salle à manger, je reconnais tout de suite le fameux Pierre Faucher avec sa barbe blanche, sa ceinture fléchée en guise de foulard… Deux familles sont installées sur les longues tables. Les lampes à l'huile sont allumées, le feu brille dans l'antre. En quelle année sommes-nous?

Après nous avoir offert son caribou maison, le patron s'attable avec nous pour un petit brin de jasette. Avec mes encouragements, l'agréable gaillard raconte ce qui l'a mené à se retirer dans les bois il y a 34 ans. Celui qui a occupé tous les métiers et fait le tour du monde au début de sa vingtaine a ensuite quitté une carrière prometteuse en communications pour retourner à la nature, en achetant d'un ami vieillissant sa cabane et son terrain de 30 acres. Il mettra ensuite quelques années à démonter de vieilles granges et habitations rustiques pour construire son village de sucre. Plongé dans son récit, il s'interrompt soudain: vous avez faim? Acquiescements. Ainsi suivront les portions (à volonté!) d'omelette soufflée à la texture agréable, de fèves au lard comme on les aime, de tourtière et ketchup maison, de jambon et saucisses, de ragoût de boulettes et du fameux pain maison! On arrose le tout d'une lapée de sirop d'érable. Le verdict du frérot connaisseur? Impeccable. Les recettes sont celles de la mère Faucher, une femme vigoureuse qui a élevé 10 enfants. Tarte au sucre et crêpes terminent le repas alors que Pierre se lance dans de palpitantes anecdotes: l'ouverture du Routard en 1988 à Paris, les célébrités politiques et artistiques qui sont passées par ici… L'horloge de grand-père sonne huit coups. Il se fait tard. On attrape un bâton de tire à l'extérieur et on rentre regarder les Oscars sur une mini-télé noir et blanc!

Visite des lieux

Petit matin, la neige tombe, il n'y a plus que de la braise dans le poêle. Pour le petit-déjeuner, c'est le patron qui est aux fourneaux! Oufs baveux, bacon, crêpes et pain grillé. Ça sent bon et on se surprend devant autant d'appétit. Une visite des lieux viendra clore notre séjour: la grande salle à manger pouvant accueillir 450 convives avec son immense foyer à trois cheminées; la salle des ancêtres où trônent les portraits de la lignée familiale; la boulangerie avec son four en pierre des champs; la cabane à sucre… Puis, le magasin général, où on découvre des souvenirs et une vaste gamme de produits de l'érable: pépites, poivre, beurre, vinaigrettes, sirop, mais aussi mélange à crêpe, ketchup maison, cornichons… Quelques provisions, et retour au bercail et à l'ère moderne!

Album-souvenirs /

-Au moment de quitter après le copieux repas, j'ai appris l'identité du chien qui nous escortait dans nos déplacements extérieurs. "Mon chien? C'est un loup!" Abasourdis, nous n'avons pas manqué, avant notre retour, de flatter la bête noire et blanche au dos plat comme une planche à repasser, Loup-Loup.

-Comment savoir quand mettre ses bottes de caoutchouc pour aller à la cabane à Pierre? "Dans le déclin de la pleine lune de mars, ce que les Amérindiens appellent la lune sucrée." Voilà le moment où la brigade de la Sucrerie amassera manuellement l'eau d'érable des 3500 sceaux sur 120 acres de terre.

Adresse /

Sucrerie de la Montagne: 300, chemin Saint-Georges, Rigaud, 450 451-5204, www.sucreriedelamontagne.com

Ville de Rigaud: www.ville.rigaud.qc.ca