Chaque soir est un spectacle
Le milieu de la restauration m’a toujours intimidée. Jeune, je n’ai pas osé y tenter une carrière, consciente que je ne saurais gérer la pression, et encore moins jouer dans les grandes ligues! Toujours, j’ai nourri le plus grand des respects pour ces artisans du goût. Un sentiment qui a gonflé après que j’eus infiltré les cuisines d’un des plus grands restaurants gastronomiques de la métropole. Récit d’une soirée effrénée chez Europea.
Casquette et tablier
Mardi, 15h. Jérôme Ferrer nous accueille, Gwenaëlle et moi, dans le hall du restaurant qu’il ouvrait en 2002 avec ses deux complices de toujours. Nous serons les premières à vivre la nouvelle expérience Cuisinier d’un soir en compagnie de sa brigade de cuisine. Fébrilité partagée.
L’aventure s’amorce en douceur avec un brin de jasette sur le fonctionnement du restaurant, la philosophie du chef, son menu et sa cuisine, qu’il qualifie de « techno-émotionnelle ». Visite express des trois étages du restaurant et on descend au sous-sol rencontrer la jeune brigade (la vingtaine) qui s’affaire déjà, calmement, à préparer le service.
Jérôme nous remet une casquette et un tablier. La chef Marie-Noélie commence par nous montrer à fignoler les ravioles ricotta-shiitake. À partir de petits carrés de pâte, nous en formons une centaine, d’abord grossiers, puis acceptables. Impossible toutefois de suivre la cadence de la chef.
Nous poursuivons auprès du chef de cuisine (et membre du trio de propriétaires), Patrice De Felice, pour garnir des moules du mélange de clafoutis aux olives. Jérôme Ferrer, qui passe par là, me montre comment bien manipuler la douille; Patrice garnit nos petits gâteaux d’olives fraîches.
Marie vient nous trouver avec un grand bol de beurre auquel Gwenaëlle ajoutera du zeste de limette et dans lequel je ferai neiger des fleurs séchées multicolores. Joli. Nous emballons le beurre aux capucines en cylindres inégaux, ce qui nous vaudra quelques rigolades. Entre-temps, le sympathique sommelier vient nous servir un verre de rosé sur la table-comptoir installée derrière la vitre qui donne sur la cuisine. Premières loges.
Pas de répit pour les vaillants, nous procédons ensuite à farcir et à couper les crêpes de sarrasin à la purée de topinambours qui formeront le lit des pétoncles géants, qui seront plus tard cuits à la perfection!
17h55. L’horloge tourne et nous sentons tout à coup l’intensité monter d’un cran. Accélération de la cadence alors que les premiers clients s’attablent aux étages supérieurs. Ce soir, nous servirons 116 convives.
Coup de feu
Jérôme Ferrer s’installe à son poste en réel chef d’orchestre prêt à rythmer le service. Devant lui s’alignent les bons de commande qui lui permettront de coordonner les sorties à la minute près. Chaque plat passe sous son nez afin qu’il le vérifie, l’astique, le peaufine. Tout doit être parfait.
Plantées tout près du passe-plat, de manière à ne pas gêner le va-et-vient des serveurs, nous observons le spectacle. « On fait marcher deux foies gras svp », ordonne le grand patron. « Oui, chef », répond immanquablement la brigade. Et ainsi se succèdent les commandes à un rythme effréné.
Nous insistons auprès du maestro pour aider. « Ça va vite, hein? » sourit-il entre deux directives qui sont toujours fermes, jamais agressives. Nous nous retrouvons alors à la station des bouchées. L’apprenti cuisinier Maxime nous guide dans la préparation des suçons de parmesan, choux-fleurs tempura, cigares au fromage… Je m’occuperai de manier le pistolet à fumée pour emplir les cloches à mini-raclettes. Une impression de contribuer aux effets spéciaux créés en salle.
Nos virées en cuisine sont entrecoupées de pas moins de 10 services sélectionnés par le chef! Parmi les bonheurs goûtés en portion dégustation avec vin assorti: la poule cuite au foin, les souris d’agneau au chutney de poire, le bonbon de bar au yuzu, le gaspacho aux légumes confits et les savoureux pétoncles géants, crème à la meringue, asperges blanches et (nos!) crêpes de sarrasin.
21h54. La tempête est passée. La brigade s’active à sortir les derniers plats, à ranger et à nettoyer pour l’équipe du matin, qui entre à 7h. Et le cycle recommence. « Dix-neuf heures d’intensité pour un seul service. C’est comme un grand spectacle chaque soir », image Jérôme Ferrer.
Album souvenir /
-En 180 minutes, on a sorti quelque 1500 plats. Souvent, on a entendu la cloche tinter. Service, svp!
-Il n’y a pas que les cuisiniers qui surchauffent, les serveurs aussi effectuent un réel workout pendant le service du soir, notamment en transportant les énormes bols de grès dans lesquels sont présentés les calamars décomposés en tagliatelles, ouf de caille et caviar de citron. Une des plus belles assiettes du service.
-Bonheurs d’enfant: nous avons aussi tenté une petite incursion dans la pâtisserie en préparant des boules de barbe à papa. Tard, nous avons eu droit à la succession de desserts, aussi beaux que gourmands, signés Roland Del Monte: boîte de madeleines, glace, financier à la pistache, guimauve, bonbons.
Adresses /
Europea: 1227, rue de la Montagne, Montréal, 514 398-9161, europea.ca
L’atelier de l’Europea: 514 397-9367, europea.ca/atelier
L’expérience Cuisinier d’un soir: ouverte tous les soirs de semaine, de 15h à 22h, pour 1 à 2 personnes.