Galerie à ciel ouvert
Ballon d’essai

Galerie à ciel ouvert

Depuis quelques années, la scène «graff» connaît un nouvel essor à Montréal. Graffitis, tags et murales constellent le mobilier urbain, leurs auteurs fignolant inlassablement leur signature et leur technique, souvent à l’insu du quidam. Si plusieurs Montréalais condamnent ou ignorent ces interventions, d’autres «spectateurs» s’émerveillent devant cette forme d’art éphémère et résolument contemporaine. Le collectif d’animation urbaine L’Autre Montréal remet en perspective ces «murs qui nous parlent» dans le cadre du circuit guidé La peau des murs: murales et graffitis.

Tag, graff… et tricot!

Rendez-vous à 13h15 au square Saint-Louis. L’urbaniste Marie-Dominique Lahaise attend la quinzaine de participants à côté d’un bus jaune. Elle nous emmène d’abord devant le poème Lettre à Jean Drapeau de Michel Bujold qui orne toujours le mur de l’ex-demeure de Gérald Godin et Pauline Julien. Incroyable que cette murale de 1973 soit restée intacte toutes ces années!

Discussion autour des différents types d’interventions (politiques, activistes, humoristiques, jeux d’optique, etc.) avec photos à l’appui et l’animatrice attire notre regard vers la nouvelle tendance: le graffiti tricoté. Sur un poteau de stationnement, une bande de tricot de laine multicolore agit comme col réconfortant à cette pièce de mobilier urbain. J’aime! Elles s’appellent Les Ville-Laines et se manifestent en quelques endroits au centre-ville. Nous rejoignons ensuite notre «limo» pour une virée dans le Plateau et au centre-ville – centre névralgique du street art.

Notre balade commentée compte quelques arrêts et points d’intérêt. Parmi les plus marquants: la murale du restaurant Coco Rico – bel exemple d’une murale financée où le collectif A’Shop fait un clin d’œil aux mosaïques portugaises de tuiles blanches et bleues. La citation géante de Gaston Miron qui fait le tour de l’édifice abritant aujourd’hui l’ENAP: «Je ne suis pas revenu pour revenir, je suis arrivé à ce qui commence.» Les multiples initiatives de l’organisme MU: la murale représentant Einstein de la Librairie Henri-Julien, les murales quatre saisons des Habitations Jeanne-Mance… D’une grande beauté.

Arrêt marquant également sous le viaduc Van Horne où cinq murales ont été réalisées sur les piliers centraux. Coup de cœur pour l’œuvre lumineuse de Monk.e et la folie bonbon de la murale mauve (oeuvre collective). Sur l’immeuble de Million Tapis & Tuiles attenant aux murales, des affiches Pas de graffitis.

Par la bouche de leurs canettes

Un détour vers l’intersection Mont-Royal-Brébeuf conduira à la rencontre d’artistes à l’œuvre sur la murale de la brasserie du coin sous le thème de La soirée du hockey. Le muraliste Louis Coupal a tout du modèle Superman: avocat en droit criminel de profession et cinéaste à ses heures, il est aussi fondateur de l’événement international de graffiti Can You Rock et copropriétaire de la boutique de streetwear Fake. Et devinez quoi, il aime bien défendre les droits des graffiteurs!

Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons devant la magnifique murale en hommage à Paul-Émile Borduas près de la Grande Bibliothèque, où deux jeunes hommes, pantalons tachés de peinture, se présentent. Deuxième rencontre impromptue, ce sont les artisans en train de parfaire la murale d’en face: le designer graphique Thomas Csano et l’étudiant en design graphique Phil, graffiteur à ses heures. «J’essaie d’embellir la ville, et non pas juste de laisser ma marque.»

D’une durée de trois heures riches en contenu aérosol, cette incursion dans la scène graff montréalaise (travail fouillé et actuel de L’Autre Montréal) m’incite à vouloir explorer ma ville autrement, avec cette paire de yeux qui voit les artistes de l’ombre qui veulent tant se faire entendre. En voyage, je ne me lasse pas de croquer les murales qui traduisent si bien l’identité d’une communauté, de manière quasi intime. Pourquoi ne pas offrir ce même traitement à ma ville, à l’instar d’une camarade de tour guidé qui alimente un blogue photographique (artmural-streetart.blogspot.com)? Ouvrir les yeux pour mieux connaître cette génération héritière de la pub, du marketing et du gaming dont je fais partie.

Album-souvenir /

– Constat: les escales du circuit permettaient de prendre la pleine mesure du talent des artistes. Autrement, la balade en bus allait trop vite pour apprécier les interventions suggérées. Proposition: pourquoi ne pas faire la balade à pied (limitée à un secteur) ou alors à vélo!

– Les murales financées peuvent parfois servir à enrayer un problème de tags récurrents, comme ce fut le cas à l’Espace Go. Le théâtre a fait appel à MU pour créer une œuvre dans son débarcadère. Et c’est signé collectif En Masse.

– Plusieurs œuvres de Mimi Traillette, une des «terroristes du tricot», sont exposées à l’Usine 106U qui tient jusqu’au 31 octobre une exposition sur le thème du Jour des morts mexicain. Une présentation trash et bigarrée dont j’ai tout de même retenu le travail des Adeline Lamarre, Winky, José Bernard et La Fée Raille.

Adresses /

L’Autre Montréal: 3680, rue Jeanne-Mance, Montréal, 514 521-7802, autremontreal.com

A’Shop: ashop.ca

Louis Coupal: louiscoupal.com

En masse: enmasse.info

Usine 106U: 160, rue Roy Est, Montréal, 514 728-9349

Mu: mu-art.ca