Cinémaniaque

La liste du vendredi : Top cinq des films étrangers

1. La vie d’Adèle – chapitres 1 et 2 d’Abdellatif Kechiche

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L’histoire est toute simple, celle d’une fille modeste rêvant d’être institutrice, Adèle (exquise Adèle Exarchopoulos, grande révélation du film), qui tombe amoureuse d’une artiste fantasque aux cheveux bleus, Emma (sublime Léa Seydoux). Au fil des années, leur relation fusionnelle connaîtra des hauts et des bas. S’inspirant de l’émouvant roman graphique de Julie Maroh (Le bleu est une couleur chaude), Abdellatif Kechiche évoque à petites touches l’homophobie, les rapports de classe, la notion d’engagement, sans jamais se faire donneur de leçons. Maîtrisant brillamment l’ellipse, il signe un récit où le temps s’écoule avec tant de fluidité que la durée du film, trois heures, ne se fait aucunement sentir. En plans rapprochés, le prodigieux réalisateur de La graine et le mulet scrute les visages et les corps de ses actrices jusqu’à en dévoiler leur âme, sans jamais se faire indécent. Rarement le désir et la passion auront été dévoilés avec autant d’authenticité et de beauté au grand écran. Une Palme d’or fort méritée pour le cinéaste et ses deux muses.

2. 12 Years a Slave de Steve McQueen

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Adaptation du récit autobiographique de Solomon Northup (excellent Chiwetel Ejiofor), 12 Years a Slave raconte comment cet homme libre résidant à New York fut enlevé en 1841 afin d’être vendu comme esclave en Louisiane. Après avoir servi un prêcheur baptiste (Benedict Cumberbatch), Northup fut l’esclave d’un maître injuste et violent (Michael Fassbender, terrifiant) avant que sa rencontre avec un abolitionniste canadien (Brad Pitt) ne changea le cours de sa vie. Empreint d’un certain lyrisme, composé de tableaux d’une grande puissance, 12 Years a Slave traite de l’esclavage de manière frontale. À des lieues du Django Unchained de Quentin Tarantino, 12 Years a Slave ne stylise pas la violence, Steve McQueen préférant la montrer dans sa plus plate brutalité. Avec une fluidité prodigieuse, le cinéaste britannique relate les 12 années de captivité de cet homme digne et courageux, esquissant au passage des personnages complexes sans jamais se perdre dans des dialogues psychologisants. De facture plus classique que Hunger et Shame, ce troisième long métrage de McQueen s’avère une bouleversante, saisissante et inoubliable leçon d’histoire.

3. Inside Llewyn Davis d’Ethan et Joel Coen

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Irrésistible incursion dans le Greenwich Village du début des années 60, juste avant l’arrivée d’un certain Bob Dylan, Inside Llewyn Davis trace le portrait d’un chanteur folk paumé interprété par le talentueux et charismatique Oscar Isaac dont le principal talent est de saboter sa carrière et ses relations. Peuplé de personnages colorés, tel ce jazzman toxicomane incarné par l’impérial John Goodman, pour qui Ethan et Joel Coen ont concocté de savoureuses répliques tantôt d’une cocasserie hilarante, tantôt d’une vacherie assassine, que Carey Mulligan manie avec brio, Inside Llewyn Davis s’avère une tendre réflexion sur le destin et l’ambition en forme de récit picaresque carburant à l’humour noir. En prime : une superbe photographie signée Bruno Delbonnel, une atmosphère d’une enveloppante mélancolie, une reconstitution d’époque crédible et une trame sonore délectable.

4. Le passé d’Asghar Farhadi

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Dès que le générique défile sur ce superbe plan final où le sort des personnages est laissé en suspens, comme c’était le cas dans Une séparation, on se dit immédiatement que l’on vient de voir un grand film… Et pourtant, bien vite on constate que celui-ci ne se révèle pas à la hauteur du précédent. Malgré tout, force est de reconnaître le grand talent de scénariste d’Ashgar Farhadi. Une fois de plus, le cinéaste iranien propose un récit en apparence assez classique, celui d’une femme (Bérénice Bejo, dans le plus grand rôle de sa carrière) demandant le divorce à son mari (Ali Mosaffa) afin de refaire sa vie avec un autre (Tahar Rahim), qu’il complexifiera au fur et à mesure que les personnages dévoileront des pans de vérité. Moins subtil qu’Une séparationLe passé s’avère une fine exploration du mensonge et ses dommages collatéraux.

5. Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont

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Enfermée contre son gré par sa famille dans un asile psychiatrique, la sculptrice Camille Claudel (Juliette Binoche, bouleversante) s’accroche vainement à l’espoir que son frère, le poète Paul Claudel (Jean-Luc Vincent, impeccable), vienne enfin la libérer. Film austère, âpre, dépouillé, lent, ponctué de cris et de pleurs à fendre l’âme, Camille Claudel 1915 illustre avec force la détresse de cette artiste de génie forcée de ressasser ses amours malheureuses avec Rodin entourée de femmes dont elle supportait à peine la présence. Afin de s’approcher de la vérité, Bruno Dumont (L’humanité) s’est inspiré de la correspondance de Camille et de son journal médical. Par souci de réalisme, il a aussi engagé des handicapés intellectuels pour incarner les patients du pensionnat psychiatrique. Par instants, Dumont va si loin dans sa démarche que le spectateur ressent dans toutes les fibres de son corps une cruelle et vive impression d’aliénation. Puissant.