On arrivera à l'école quand on arrivera…
Collaboration spéciale

On arrivera à l’école quand on arrivera…

La poète, comédienne et dramaturge, Marjolaine Beauchamp , auteure de M.I.L.F, publiait plus tôt aujourd’hui sur son compte Facebook un poignant cri du coeur sur la vie de famille, l’éducation et la course effrenée du quotidien dans un monde où tout ce qui est anormal agit comme du sable dans l’engrenage du bonheur, comme si nous tentions trop souvent de «faire fitter un carré dans un cercle, jusqu’à l’enfermement.»

Ce matin, ça été difficile avec les enfants…

On s’est chicanés, ça a crié, ça a pleuré, nos paroles ont dépassé nos pensées, on s’est fait de la peine, il était très tôt, on était fatigués.

On a tous de la difficulté dans cette maison à embrasser ce beat de vie effréné, qui semble des fois nous emmener beaucoup plus d’anxiété que d’apaisement, de confort mental ou de satisfaction.

Nous sommes une famille singulière, hors-norme, nous sommes curieux, ouverts, aimants, un peu croches, un peu pockés, pirates…

Et comme beaucoup de foyers de mon quartier HLM, nous vivons des enjeux socio-économiques, des enjeux de santé, de littératie. Nous enfilons les jours de semaine comme autant de petits combats

Dimanche soir à la télé, deux pédiatres ont parlé de notre histoire sans le savoir.

Notre histoire à mon fils et à moi, mon petit pack-sac comme j’aime l’appeler.

Je l’ai eu jeune et mêlée, dans une période de multiples traumas. On a grandi ensemble, jusqu’à un genre de stabilité, un genre de vie qui aspire à la douceur, deux 4×4 qui se parkent pour un boutte…

Le système scolaire et médical tels qu’ils sont pensés en ce moment ont contribué à transformer un formidable petit garçon doué, brillant, empathique avec un gros baluchon de vie et un immense besoin de patience, en petit garçon disqualifié, colérique, avec peu d’estime, qui déteste son image corporelle et se sent à part dans sa classe spéciale.

Un enfant de 11 ans qui parle de mort, de dégoût de soi et d’échec depuis des années, tout en ayant heureusement quelques moments de répit, pour se rappeler qu’il y a du beau des fois.
On y travaille avec acharnement.

Ce petit garçon à qui la commission scolaire a fait passer un test avec un nom compliqué de scientifique, sans spécifier clairement ni à lui, ni à moi que c’était un test pour déceler un TDAH.

Mon fils s’est fait diagnostiquer un TDAH par l’école et j’ai dû refuser ce processus tel qu’il m’était présenté. Je leur ai écrit une longue lettre pour parler de sa vie, ses traumas, et ma certitude que ce n’était pas un trouble TDAH qu’il avait mais autre chose. Ils ont finalement accepté de me rencontrer pour une réévaluation.

Je ne parlerai pas ici de littératie médicale, d’iniquité dans le rapport aux soins, c’est un autre débat, que je voudrais mener si j’avais de l’espace mental et un confort monétaire, pour pouvoir réfléchir mon système sans qu’on me fasse sentir que je perds mon temps…

Je leur ai donné rendez-vous au centre de pédiatrie sociale ou nous sommes suivis, armée de mon équipe de soins et de notre médecin formidable, qui souriait calmement au personnel de l’école en leur disant “ Pas du tout, cet enfant n’est pas du tout TDAH… c’est un grand anxieux, et il doit être traité comme un anxieux”

Je ne vous parlerai pas du fait que cette institution est privée et que c’est contre mes valeurs d’habitude. Je ne vous parlerai pas des gouvernements qui ont fait en sorte que je ne me sente plus protégée par mon système public et que je me dirige naturellement vers ce qui fonctionne mieux en contexte de fin du monde.

Je ne vous parlerai pas qu’on a pas le temps de crever pour des idéaux, surtout quand on crève chaque jour.

Ça c’est un autre débat que je voudrais mener devant certains de ces militants ingénus sans flexibilité qui crient au capitalisme et aux concepts compliqués “privé public” devant des humains qui souffrent dans l’immédiat.

Nous sommes utilisée comme token à débats intellectuels et nous sommes trop souvent disqualifiés du côté de ceux qui réfléchissent un monde meilleur parce qu’il leur manque cruellement de notions sociologiques

J’ai demandé à la psychologue de l’école un an de sursis avant de confirmer ce diagnostic et mon refus de la médication, parce que sinon j’entrais dans la case des parents réfractaires.
J’espère que d’autres parents prendront la parole publiquement pour dénoncer cette intimidation.

Parce que j’ai été témoin d’histoires d’horreur, de petits garçons suicidaires, qui ne mangent plus et ne jouent plus à cause des effets secondaires de leur médications, et de parents stigmatisés de refuser la médication, je l’ai vu, ça se passe, particulièrement dans des écoles qui desservent des quartiers comme mon quartier HLM.

Je ne parlerai pas de leg, d’équité et d’éducation en contexte de survie, c’est un autre débat, un grand débat sociologique, que je rêve de mener, un jour, avec plus d’esprit de synthèse, plus de connaissances théoriques

Maintenant médicamenté pour anxiété généralisée, mon fils est dans une classe spéciale qui renferme une table collective, des sofas pour relaxer, une aire de jeu, une cuisinette et une salle de contention, comme en prison.

Quand ils ne se contrôlent plus ces petits garçons fâchés, disqualifiés, intimidés, intenses, on doit les mettre dans cette salle, le temps de leur tempête.

Les professeurs ont absolument le droit légitime de se protéger contre la violence, ils sont très fâchés des fois ces petits garçons, c’est difficile de savoir quoi faire.

Quelquefois, selon moi, ils y vont pour des raisons injustifiées, ça m’attriste, mais ce qui m’horrifie, c’est bien plus grand que ça…

Mon fils m’a demandé si je comprenais ce que ça faisait réellement se faire enfermer dans une pièce carré petite sombre et sans fenêtre, et d’être obligé de rester calme pour sortir.

J’ai eu mal dans mon corps.

Mal d’avoir consenti à la contention physique en cas de débordement.

Vouloir faire fitter un carré dans un cercle, jusqu’à l’enfermement.

Mon garçon n’est pas en faillite, il ne peut pas avoir échoué quelque chose qu’il essaie si fort de réussir.

Je me rend compte soudainement que je me sens aussi comme ça, dans d’autres proportions, avec d’autres contraintes, mais avec le même sentiment que mon corps est directement atteint par ce système, atteint et meurtri.

Edouard Louis y fait allusion d’une autre façon en parlant de la vie de son père, nos corps ne sont pas égaux devant le système

Ce système de performance, d’accomplissements, de mérite.

Ce système comptable, mercantile, individualiste, intolérant.

Ce système rempli d’écoles désuètes
D’hôpitaux engorgés et débordés
De travailleurs en détresse
D’enfants brisés, perdus, étiquetés
De parents fatigués, désorientés à la recherche de modèles atteignables
De professeurs démunis et exploités jusqu’à l’épuisement
De démunis méprisés et punis
De premières nations humiliées et maintenus en situation d’asservissement moderne
D’intervenants à bout de souffle
D’infirmières en larmes
D’agresseurs sexuels au pouvoir
D’intimidateurs avec une tribune
De fraudeurs aux commandes d’une multitudes d’institutions
De policiers racistes et méprisant envers les enjeux de santé mentale
D’immigrants en danger à cause de politiques populistes
De sécurité compromise chaque jours au prix de l’économie
D’enfants agressés par leurs entraîneurs sportifs
De générations complètes brisées par les sévices du pouvoir religieux

Et on doute encore…

On se dit c’est sûrement nous le problème, sûrement un problème d’adaptation…

On se chicane le matin pour se dépêcher d’envoyer les enfants se faire éduquer dans ce système cassé de partout, même si on doute nous-même de la pertinence de ce geste, pendant que pour manger à notre faim, on part donner notre précieuse énergie à prendre part à ce système, défaits, convaincus que c’est trop grand pour changer, que c’est plus intelligent de se conformer.

On se dit il y a des perles cachées et du soleil et de l’espoir dans ce système et on remet notre colère dans notre poche on la remet à plus tard et tous les “plus tard” sont passés et il est maintenant presque trop tard. “Ventre plein n’a pas de rage que Félix disait”

Je me demande aujourd’hui s’ils sont tant adaptés, ces humains adaptés.

Je suis capable de voir l’espoir, le beau, le travail acharné des humains qui refusent

Je suis capable de voir les résistants, les effrontés, les rouspéteurs, les mal habillés, les irrévérencieux.

Ce matin, j’ai juste beaucoup de misère à aimer mon humanité, parce qu’elle me demande d’être active, de me réveiller, de dénoncer et je suis si fatiguée…

En attendant de notre côté, pour guérir notre cœur au moins pour aujourd’hui, on est allés ailleurs, dehors, on a même pas regardé l’heure…

On arrivera à l’école quand on arrivera…

Vous avez quelque chose à dire?

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