Complètement Martel

La poésie est un lubrifiant qui aide à faire passer le "motton"

Parfois j'ai l'impression que je commence à écrire comme une vieille bottine qui aurait mal à la semelle. Ça marche pareil – plusieurs s'en contentent -, mais ça ne fait pas les plus belles balades… Et même les paysages les plus beaux peuvent alors se fondre dans le décor.

Ça m'arrive lors des grosses semaines, surtout, ou lors des semaines qui suivent les grosses semaines. La première chose qui s'effrite, avec la fatigue, c'est l'imagination… Quand je me rends compte que j'écris comme n'importe quel gribouilleur de feuille de chou, je m'affole un peu. Alors, J.-F., où tu l'as foutue, ta poésie, dernièrement? T'es pas déçu?

Puis je me ressaisis. Tourne la page, salis une nouvelle feuille blanche. Force-toi, cette fois.

Je lisais, dernièrement, l'annonce d'un débat public qui aura lieu à l'occasion du 50e anniversaire de la revue Vie des arts, en novembre: "Le critique d'art doit-il être un écrivain?" Voici quelques lignes de la mise en contexte.

"Pour les défenseurs de la critique scientifique, les tenants d'une position où, au contraire, prédominent des qualités d'écriture sont qualifiés de "littérateurs". Ils regroupent sous cette appellation péjorative les commentateurs qui considèrent l'exercice de la critique comme une forme de création littéraire. Ils leur reprochent essentiellement leur manque de clarté et de rigueur."

Source: Vie des arts, no 203, été 2006, page 17.

Eh bien, il faut croire que je suis un littérateur. Je l'assume. Ne vaut-il pas mieux être un littérateur qu'un écrivant? Surtout lorsque l'on rend hommage, chaque jour de notre vie, aux arts et à la culture…

Je ne suis pas une machine à écrire, je ne fais pas que traiter de l'information – la mâcher, l'avaler et la régurgiter. Il y a longtemps que j'ai cessé de tenter de mettre la vie (et l'art) dans une grille. Je vois mal à quoi ça sert de seulement décrire une oeuvre sans en faire une lecture sentie, ou au moins réfléchie. Il y a un outil pour ça, ça s'appelle un appareil photo. À moins que ce qu'on veuille, ce soit de remplir de l'espace avec des mots.

Remplir à tout prix un journal, par exemple.

Se donner l'impression d'avoir couvert ce qui se fait en art.

L'oeuvre d'art est elle-même le produit d'un processus senti, d'une réflexion où s'entremêlent l'imagination et l'émotivité. Impossible d'en rendre compte si on en fait abstraction. De toute façon, nous ne sommes que des boules de chair frémissantes, et ce n'est qu'à travers cette chair qu'on peut vivre notre rapport avec le monde. Même chose pour l'appréciation d'une oeuvre par un critique.

Et si la sensibilité est une limite, comme certains semblent le croire, elle est inaliénable, conditionnée par notre existence, et ne peut donc pas être occultée. C'est de se leurrer que de croire le contraire. Alors à tous les aveuglés qui tranchent leurs textes bien carré et qui n'usent que des mots qui sont bien rangés dans leur boîte à outils ordinaire…

Mettons-y de la chair! Que la vie nous passe à travers le corps! "Retenir nos mots jusqu'à ce qu'ils soient en ébullition!" dit-il sur un ton décidé, comme si Miron le lui avait soufflé à l'oreille…

Trop de nos contemporains ont peur de leur propre imagination, cherchent dans la science des assises faussement solides sur lesquelles se reposer… Il me semble tellement plus profitable de s'abandonner. Einstein était lui-même intraitable à ce sujet: "L'imagination est plus importante que le savoir." Elle ne sert pas d'échappatoire à la réalité… Elle permet de concevoir une réalité qui nous échappe.

Mettez le pied dans quelque galerie. Tentez le coup. Si vous êtes prêt à faire un peu de route, le carrefour des amateurs d'art contemporain se trouve à Baie-Saint-Paul (Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul), jusqu'au 4 septembre. Et lorsque vous serez devant une oeuvre qui vous touchera particulièrement, cherchez à la décrire, juste pour voir.

L'exposition Arborescence – Beauté et Paradoxes, de Michel Campeau, est présentée jusqu'au 3 septembre, au Centre national d'exposition.

En face d'un Peter Krausz, d'un Michel Campeau, d'un Steven Renald, d'un Jocelyn Robert… les mots manquent souvent. On arrive bien à faire une description succincte qui puisse situer le lecteur, lui donner une idée approximative de ce qui l'attend, quelques pistes d'appréciation, peut-être. Mais impossible de contraindre de véritables oeuvres au carcan d'un texte. Si ça pouvait être fait, l'artiste lui-même aurait choisi d'écrire plutôt que de produire une oeuvre plastique.

Alors, quand vous jetez un regard curieux à l'un de ces textes traitant d'arts visuels, écrit par un journaliste culturel ou un critique d'art, il faut savoir qu'il ne s'agit que d'un aperçu – devrait-on dire d'un point de vue? – et que certains horizons sont parfois plus fermés que d'autres. Les comptes rendus et résumés journalistiques sont à l'art ce que le menu est à la gastronomie. Rien à voir.

Celui qui cherche à comprimer une exposition complète dans un texte de 800 mots doit lui-même faire des choix qui réduisent nécessairement la portée du travail de l'artiste. Il ne faut donc pas s'en contenter… S'ouvrir à l'art, c'est distendre l'univers. C'est se donner en cadeau un monde complètement fou. C'est apporter une autre dimension à la vie, la rendre plus éclatante – ou éclatée. Et ceux qui craignent de ne pas comprendre se trompent déjà.

Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise compréhension d'une oeuvre. Il n'y a qu'une sensibilité à développer.