Trois fois que j'écris cette chronique. Abus de conscience. Connaître le poids des mots. Pour celui à qui ils sont destinés. Pour celui qui les aura écrits. Mesurer, retoucher, évaluer, soupeser, raturer, reprendre. Ne pas en dire trop. Ne pas pour autant se taire.
Je vois parfois des collègues, pour qui j'ai beaucoup d'estime, faire des entourloupettes, se tenir les dents bien serrées pour ne pas trop parler… Choquant. Et pourtant. J'ai aussi les pieds dedans.
Il y a d'excellents journalistes dans la région. Parmi eux, certains qui écrivent ou qui parlent extraordinairement bien. Vraiment. Je l'écris avec un peu d'envie, peut-être. Mais je m'inquiète parfois – à tort, j'espère. Dieu aurait-il oublié quelques journalistes lorsqu'est venu le temps de distribuer le libre arbitre? Ou peut-être que ça se perd, simplement, lorsque l'on se trouve soudé au clavier, gris d'une étrange lucidité.
Je m'inquiète, parfois – à tort, j'espère. Quand on me dit, en parlant de quelque saute d'humeur: "Si tu peux vivre avec les conséquences". Je me demande alors si je n'ai pas mal évalué le poids des mots. Peut-être existe-t-il des mots à longue portée, comme des missiles. Ou à portée différée. Comme des mines. Il y a de quoi chier dans son froc à chaque pas.
Je m'inquiète, parfois – à tort, j'espère – de la façon dont on m'aborde. Peut-être suis-je trop frileux. J'entends "Ce serait mieux que tu passes ton papier à telle date", voire "On va donner un bonbon à chaque journal, comme ça tout le monde va être content". Je me demande, alors… Est-ce qu'on me teste? Est-ce vraiment cette attitude qui est de rigueur avec les autres médias? Est-ce que les autres journalistes jouent aux parfaits écoliers, répétant comme une leçon ce qu'on leur a dicté en conférence de presse?
Un relationniste prenant contact avec moi s'est échappé, cette semaine encore, laissant tomber que, comme il avait acheté de la publicité, il serait logique et pertinent (?!) que je donne priorité à l'artiste qu'il représente. (Ça fesse, je sais… mais ce sera pire…) Quand je lui ai répondu ("Vous serez heureux de savoir que notre équipe de rédaction est totalement indépendante de notre équipe des ventes, ce qui permet une couverture juste et impartiale de la culture dans la région. Pour éviter tout problème éthique, je ne suis donc au courant de la publicité qu'au moment où je reçois le journal, en même temps que tous les lecteurs."), on m'a répondu que pourtant, des ententes avaient été faites avec d'autres journaux de la région.
Je suis inquiet. La publicité ne devrait pas chercher à soudoyer la rédaction, tenter de la corrompre, mais plutôt convaincre le lecteur. Oui, je m'inquiète, parfois. J'espère de tout coeur avoir tort. Je veux croire encore que la neutralité des journalistes ne s'inscrit pas que dans le vocabulaire qu'ils utilisent.
Dans son blogue, Steve Proulx, un collègue du Voir s'intéressant aux dessous des médias, retrace une citation de Réjean Tremblay (chroniqueur pour La Presse et auteur de téléséries à succès) qui date de 1992 mais qui donne toujours quelques frissons:
"On ne sort plus les vraies histoires parce qu'elles dérangent les journalistes dans leur confort moral et psychologique. Parce qu'elles nous rendent moins populaires. Parce que c'est plus gratifiant d'être ami avec le boss de l'organisation, de voyager en première classe et d'être traité aux petits oignons que de se retrouver dans le fond de la cale à essayer de grappiller des billets de saison. C'est ça le journalisme aujourd'hui. D'un côté […] il y a les journalistes syndiqués et leur syndicalisme fatigué, des journalistes qui gardent un semblant de passion en pensant à leur fond de pension et [de l'autre], il y a quelques jeunes, quelques ti-culs qui veulent, qui y croient et qui réussissent pendant quelques années. C'est ça la situation. Disons que c'est inquiétant."
J'ai peur, alors – à tort, j'espère. Peur de devenir autre chose qu'un ti-cul.
Dans ma tête, c'est encore beau. Les journalistes sont une fenêtre sur le monde et la culture, parfois la seule disponible pour la population. La gorge serrée, j'ai peur de voir la région se mettre la corde au cou. Peur que nous nous dirigions vers un suicide culturel (par définition irréversible). Peur que la grande noirceur ne se soit pas dissipée partout de la même façon.
Je suis peut-être encore juste un ti-cul. Je n'ai pas la science infuse. J'accepte de toute façon bien humblement de me tromper – aussi souvent que possible, si ça signifie que je suis libre, et surtout que je suis mon propre arbitre. Je compte sur les lecteurs du Voir pour me fouetter si je dis des âneries. Ça m'arrive. Et ça m'arrivera.
Mais voilà encore une source d'inquiétude. Je me rends compte, à l'occasion, que chez les lecteurs aussi, certains préfèrent se taire plutôt que de mordre. Pourtant, j'ai la couenne d'un chroniqueur: je suis un morceau de viande, pas toujours tendre. J'attends d'être mordu. En fait, dès qu'on ouvre un journal, il y a de quoi se faire la dent.
Les seules fois où j'ai été mordu, c'était par quelques artistes un peu frustrés ayant avalé de travers une critique faite à l'égard de leur travail. Mais alors, parmi eux, les plus éloquents ont réussi à gagner mon respect. De grâce, remettez vos dentiers, gens du Lac, gens du Saguenay. Prenez des notes de ce que vous voyez, de ce que vous savez. Prenez des photos. Gardez des traces, et partagez-les.
S'il y a vraiment une grosse machine ne manquant pas de lubrifiant, j'espère que mon grain de sable ne sera pas le seul à se glisser dans l'engrenage: isolé, il ne réussirait pas à le briser. Si l'engrenage est clean, rien ne l'arrêtera.
Parce que je vous invite, à qui mieux-mieux, sans distinction particulière… Parce que je cherche à vous séduire… J'ai peut-être parfois l'air d'une pute pour tout ça, mais je n'en suis pas une. Bien sûr, je porte les jarretelles et les dessous affriolants des chroniqueurs culturels. Mais si certains d'entre eux se laissent passer sur le corps, je refuse d'en faire autant.
En tant que chroniqueur, il est vrai, j'accuse un certain pouvoir, mais il n'a aucune valeur marchande. Du pouvoir, vous en avez aussi. La culture dépend de nos efforts à tous. Il faut savoir mesurer le poids des mots.
Cette semaine, Monsieur Caron nous entretient de ses préoccupations de chroniqueur et entre autre de sa peur que la rédaction soit soudoyée par la publicité. Jeudi dernier à l’émission « Libre échange », diffusé à Télé Québec, il y avait une table ronde sur la liberté d’expression des journalistes « culturels », à partir de la question suivante : Le public a-t-il l’heure juste en matière d’information culturelle? Les participants étaient: Marie-Christine Blais et Franco Nuovo.
Nuovo avouait qu’après avoir fait de nombreux voyages dans le monde, pour réaliser des reportages sur Denys Arcand, il avait moins d’objectivité dans ces propos. Ayant développé une relation privilégiée avec Arcand, Nuovo disait voir maintenant à travers les lunettes d’Arcand. Il était mentionné aussi la crainte de «critiquer » négativement un ou une intouchable mythique du monde culturel québécois, car le milieu est petit et les conséquences plus grandes à différents niveaux.
Alors imaginez quand oeuvre comme chroniqueur au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les mêmes visages reviennent souvent et certaines amitiés ou complicités peuvent se développer entre artistes et chroniqueurs. C’est dans l’ordre du possible et c’est peut-être même inévitable, l’humain étant ce qu’il est, c’est-à-dire, un être de relations et social. Alors, même avec la meilleure volonté du monde et un grand sens de l’éthique, l’objectivité peut en prendre son rhume parfois. Il ne faut pas nier cette possibilité et la nommer simplement, au lieu de s’en défendre.
Je ne craindrais pas l’évidence qui fait qu’un relationniste tente de convaincre un chroniqueur. Dans ce cas, les enjeux et rôles sont clairs. Je m’inquièterais davantage de ce qui est non-dit, mais qui a une influence peut-être plus considérable sur l’objectivité de l’information transmise. La neutralité absolue, je n’y crois pas.
Soyons donc des lecteurs et lectrices avertiEs et diversifions nos sources d’informations. Prenons parole aussi..
Je n’avais jamais remarquer ce fait, j’avoue que tu a tout a fait raison et il me semble avoir déjà entendu cette phrase: « si tu peux vivre avec les conséquences » venant de la part de tout parent moindrement attentionné envers ses enfants, mais ces mêmes parents nous disent d’être franc alors quand un journaliste écrit quelque chose il a donc le choix soit d’être franc et de se faire « tapper sué doigt » ou bien de mentir ou de déformer ses propos pour les rendre politicaly correct et par le fait même contrevenir a la règle de baase que ses parents lui ont inculqué. Pourquoi faudrait il que tout soit toujours politically correct. Pourquoi les québécois ne veulent pas voir la vérité pure et dure? A mon avis les humains de nos jour sont trop bien quand ils ont les yeux fermés… Il commence a être temp qu’on s’ouvre les yeux.
Je ne lis pas les journaux parce qu’ils sont tous pareils, que ce soit à la télévision, radio ou sur papier, les journalistes parlent toujours de la même chose. Les journalistes parlent de n’importe quoi, le problème c’est qu’ils sont spécialisé en rien, ils ne connaissent pas en profondeur le sujet dont ils parlent pour la grande majorité des cas, c’est donc juste le sensationnaliste qui compte et le contenu . ça na pas d’importance, pourvu que le journal ce vendent.
C’est une des raisons pourquoi j’aime le journal Voir, chacun peut s’exprimer, ça créé une ouverture d’esprit sur les opinions des autres.
À lire l’article « Abus de confiance » je m’inquiète aussi de ce que j’ai moi-même constaté, à savoir que, sous toutes sortes de raisons fallacieuses que l’on s’invente ou que l’on se fait souffler, plusieurs se laissent acheter et que beaucoup plus encore s’arrogent le droit d’acheter leurs congénères. Est-ce que l’intégrité est une valeur en voie de perdition dans notre société? Est-ce que le $ devient la seule référence? J’espère que non et je souhaite que les jeunes qui lisent cet article et ce commentaire sauront apprécier les dommages éventuels que nous subirions tous suite à l’extinction des chroniqueurs impartiaux et indépendants, redresser la barre et exiger de ne lire que des journalistes qui portent leurs culottes et disent ce qu’ils pensent réellement. Une critique franche est le seul gage que l’on n’encourage pas la population à se laisser flouer ou manipuler ainsi que le seul petit coup de pied nécessaire pour que les artistes et les producteurs se posent des questions sur leur produit et remettent leur travail/art sur le métier. Personne n’aime être critiqué, les artistes encore moins parce qu’ils mettent beaucoup d’eux dans leur oeuvre. Mais si ça leur permettait de se réaliser encore plus! C’est certain qu’un papier dithyrambique est plus plaisant à lire, mais que vaut-il pour l’artiste s’il n’est que le résultat d’une dictée et non d’une émotion sincère? Merci de soulever cette problématique afin de nous porter à réfléchir et à exprimer notre opinion et nos attentes. Pour ma part, je ne veux pas que le Voir, pas plus que toute autre publication, devienne uniquement un pamphlet publicitaire. Merci, donc, de porter vos culottes. J’ai toujours plaisir à vous lire.
Les propos tenus par les journalistes dans les médias, que ce soit écrits, parlés ou même chantés à la limite, se doivent d’être sincères, justes et véridiques. Nous avons parfois l’impression que les paroles prononcées par les chroniqueurs ne servent qu’à vendre un produit, en mousser la publicité.
Il faut aussi savoir faire la différence entre propos mensongers et véracité. LA convergence au Québec commence à nous limiter sérieusement dans notre désir de dire la vérité toute nue.
Quand un journaliste ose dire le fond de sa pensée, il est normal qu’il se retrouve parfois dans de drôles de circonstances. Par-contre, il faut aussi savoir doser. Les Jeff Fillion de ce monde n’ont pas non plus leur place sur nos ondes. Quand les choses sont dîtes de façon claires, nettes et précises, sans méchancetés, je ne vois pas pourquoi les choses devraient être tues.
Que chacun assume ses paroles et ses gestes, et tout ira très bien. Bravo!
Vous savez, Monsieur : «Caron», tôt ou tard, il fallait vous y attendre! Nous sommes, dans un monde, où tous, et chacun à raison, et en temps, à la limite d’une époque d’inquisiteurs! J’accuse, donc j’existe!!! Vous retrouverez facilement, des : «abus de confiance, abus d’autorité, abus de pouvoir et abus de conscience»! Certes, il faut admettre, que parfois, ce n’est pas totalement faux, pour certains chroniqueurs (je ne parle pas, de vous bien sûr)… Alors, on est en droit de se questionner, sur la pertinence de la liberté d’expression? Du droit à son opinion? Du droit à la différence? Sans être accuser, de propos diffamatoires! Et l’objectivité? Existe-il, une objectivité totale, dans nos propos? C’est l’idéal à atteindre, il va sans dire! Mais, combien utopique! Que l’on veuille l’admettre ou pas, nous portons en soi, notre éducation, nos principes, nos valeurs etc. Alors, pour l’objectivité, on repassera!! Consciemment ou pas, il y aura toujours un part, de subjectivité, qui se prolonge à travers, nos paroles, nos commentaires, et mêmes dans nos livres!!! Et, voilà, que l’on répète des phrases, des slogans, avec les intentions du monde. «Tout le monde le fait, fait le dont etc.» Ainsi va la vie… Et sincèrement, Monsieur Caron, vous ne serez jamais un : «ti-cul»!!!