Complètement Martel

Quand il lit l’inutile

J'étais – évidemment – à la dernière soirée des Poèmes Animés, au Côté-Cour. On a beau avoir quelque prétention journalistique – qu'est-ce que je me fais rigoler! -, on a le droit de s'amuser un peu, de ventiler notre esprit de ce chapelet d'exigences qu'impose ce préoccupant rythme de vie. Il faut savoir profiter des beautés de l'existence. La poésie en est.

Je n'avais même pas un crayon en poche pour la soirée. Je voulais me laisser vivre l'ivresse un peu brute des poètes, inspirés par les "paradis artificiels", thème proposé par les organisateurs. Simplement absorber jusqu'à plus soif, jusqu'à m'en soûler, être étourdi, abuser, en avoir mal au coeur peut-être. Mais pas me casser la tête. Pas cette fois. Il fallait seulement que ça tourne…                      

Il suffit de prendre une décision pour que la vie se ramène pour nous prouver que c'est elle qui mène. La soirée a commencé avec la projection d'un court film documentaire, Nous sommes tous des poètes, co-réalisé par Pierre Demers et Dominique Rochon dans le cadre de la deuxième Nuitte de poésie au Saguenay, qui avait lieu le 28 avril dernier. Je ne ferai pas l'apologie de la vidéo, qui sans être un chef-d'oeuvre était tout de même pertinente. Le questionnement qui est à sa source m'a troublé – me trouble encore: à quoi sert la poésie? Dès lors, j'étais mûr pour une de ces migraines qui résultent à tout coup de la surexcitation neuronale.

À QUOI SERT LA POESIE?                     

Il y a les partisans de l'inutilité patente, ceux qui voudraient que ne soient considérés comme de la poésie que les mots enlignés – ou désalignés – de façon à ne servir à rien. Pour ceux-là, un texte ayant un quelconque objectif (de communication, de transmission, de description, de propagande, de vente) n'a rien de poétique. La poésie aurait du sens lorsque le texte perdrait le sien.

Pas si fou. Mais en même temps, une telle définition permet les excès les plus nébuleux, accordant à la poésie cette "aura d'obscurité" – permettez-moi cette image impossible – qui fait frissonner la plupart des gens. Cette conception de la poésie, alimentée par certains poètes (dont quelques-uns se vautrent dans un univers hermétique à sens unique, se targuant de faire partie d'une élite d'incompris) nuit énormément au milieu de la poésie, la taxant de toute façon d'inatteignable… Ce qui n'est pas pour encourager la lecture de cette damnée des littératures.

Pierre Demers, dans le film Nous sommes tous des poètes, qu'il a co-réalisé avec Dominique Rochon, affirme que "la poésie nourrit".

Il y a aussi ceux qui croient que la poésie nourrit, accès privilégié vers un au-delà du réel. Que sans elle, comme sans l'art ou la spiritualité, l'existence est vide de sens. Le corps a ses besoins, l'esprit a aussi les siens, et parmi eux se trouve la poésie. Fameux. Je n'ai d'autre choix que d'abonder dans le même sens. C'est une dépendance que j'assume sans trop sourciller.

Certains aiment la forme et les contours, la précision et ses détours. D'autres la préfèrent brisée, envahissante ou aérée, grisante ou dévergondée… En fait, la poésie, c'est beau ou ce ne l'est pas. On pourrait chercher longtemps avant de réussir à la définir. C'est indescriptible, parce que c'est justement ce langage – la grammaire de l'indicible – qui est exploité par les poètes.

Je pense que ceux qui cherchent une raison d'être à la poésie se trompent. En elle-même, elle est inutile, et si elle est exploitée comme tel, elle le demeurera. Mais ça n'exclut pas qu'on puisse se servir d'elle, l'élever ou la dépraver, l'agrémenter ou la salir. On la trouve, on la cueille, on la prépare et l'exhibe. Le rôle principal du poète est de dire "You-hou! Avez-vous remarqué? Il y a de la poésie, là, là et là…" Dans les tresses radicales d'un arbre effondré. Dans la beuverie de la veille. Dans le malheur le plus pénible. Dans les charmes du quotidien…

Pour moi, le poète (comme l'artiste) doit, à travers sa poésie, ne respecter que lui-même. Il doit témoigner de sa sensibilité pour la vie, pour la réalité et ce qu'elle cache. C'est un peu ce que je retrouve chaque fois avec beaucoup de plaisir lors des soirées des Poèmes Animés…

Lorsqu'une question d'allure simple est adressée à un poète, il est possible qu'il ne puisse en ressortir qu'un fouillis encrypté, une enfilade de citations d'auteurs, une impertinente tirade… Mais peut-être peut-on se contenter d'y répondre simplement?

ET ALORS?

À quoi sert la poésie? À rien. Sinon à se faire du bien, à se donner l'impression d'exister un peu plus, ou autrement. À vivre l'ivresse et ses étourdissements contrôlés sans souffrir d'effets secondaires, sinon celui d'être témoin privilégié de la vie. Triste de voir qu'il n'y a pas plus de spectateurs lors des Poèmes Animés. Plusieurs y découvriraient une poésie convaincante qui n'a rien à voir avec leur propre conception de ce qu'elle est.

La prochaine soirée des Poèmes Animés aura lieu le 3 février 2007, sous le thème "dimanche".