Complètement Martel

Le Chaînon manquant

Dans cette profession, on fait parfois des entrevues qui sont franchement captivantes. Parfois parce qu'on a une admiration irrépressible pour la personne interrogée, pour son travail, parce qu'on croit vraiment que cet artiste a réussi à faire avancer la cause artistique ou a simplement transformé la façon dont on envisage la vie. J'y classerais les quelques mots que j'ai échangés avec la généreuse Marie Chouinard, quelques jours avant que nous puissions assister à son spectacle bODY_rEMIX.

D'autres entrevues sont franchement délirantes. Généralement (mais pas toujours), ce sont celles faites avec des humoristes. Au bout du fil, on reconnaît les VRAIS humoristes, ceux qui sont drôles malgré eux, sans prétexte. Mario Jean était tordant. Réal Béland est tout simplement pissant. Et cette semaine, Pascal-Angelo Fioramore, des Abdigradationnistes, m'a bien fait rigoler.

Pourtant, les entrevues que j'apprécie le plus ne sont pas celles auxquelles on serait en droit de s'attendre. Ça n'a souvent rien à voir avec la reconnaissance dont jouit l'artiste. C'est plutôt la façon dont l'entrevue s'étiole pour se muer en véritable discussion, lorsque le fil se perd une fois pour toutes. Lorsque l'artiste cesse de me régurgiter la salade qu'il croit que son interlocuteur (moi) attend de lui. Et que je ne me résigne plus à quémander quelques belles phrases à insérer dans un article.

Ça a été le cas avec Fred Pellerin, certainement un entretien mémorable. C'est aussi souvent le cas pour de jeunes artistes, qui ne sont pas encore pollués par cette attitude largement répandue qui enseigne de ne jamais donner que ce qui est demandé. C'est le cauchemar de tout journaliste, lorsque l'artiste "part sa cassette", métaphore anachronique encore courante dans le milieu. Il paraît que c'est encore pire en politique.

Lorsqu'on se libère des liens du convenu, ça donne parfois lieu à quelques maladresses – dont je ne fais jamais de cas, mais qui me font sourire lorsque je retourne au bureau. Mais ça me confronte aussi à des argumentaires pertinents, à des passions à peine contenues, à des désirs inassouvissables et des rêves un peu fous. Parfois même à des semblants de solutions.

Guillaume Ouellet: "Il n'y a personne ici qui va voir ton spectacle et qui va dire "Hé, c'est bon, ton truc, on va le raffiner. Je te l'achète! Je prends ton projet, je te l'achète, et je pars avec." Quelqu'un qui a une vision, et de l'argent… Il n'y en a pas, ici."

Alors que je m'entretenais avec Guillaume Ouellet à propos de la Ligue d'improvisation musicale du Saguenay (LIMS), il est survenu une telle déroute conversationnelle. Parce que son expérience individuelle et au sein de la LIMS lui a permis de lever le voile sur ce qui semble être une gangrène pour la vie culturelle de la région, particulièrement en ce qui a trait à la musique. Il soutient en effet que le talent ne manque pas, les bonnes idées non plus… Ce qui ferait défaut, ce serait le nombre de producteurs. "Il n'y a personne ici qui va voir ton spectacle et qui va dire "Hé, c'est bon, ton truc, on va le raffiner. Je te l'achète! Je prends ton projet, je te l'achète, et je pars avec." Quelqu'un qui a une vision, et de l'argent… Il n'y en a pas, ici." En effet. S'il y a bien certains producteurs qui cherchent à faire la lumière sur des artistes de la relève, le temps d'un ou de quelques spectacles, il est rare que de telles expériences se soldent par de véritables perspectives de carrière. D'où l'image difficile à changer d'un Eldorado métropolitain…

Si nous n'avons pas les moyens d'avoir beaucoup de producteurs, dans la région, eh bien… allons les siphonner ailleurs. C'est ce que des gens d'ici ont réussi avec le festival Regard sur le court métrage au Saguenay. Même chose pour le Festival international de marionnettes. Ce sont des points de rencontre – ponctuels, peut-être, mais tout de même très fertiles – qui ouvrent une fenêtre à double sens, offrant à la population des oeuvres de qualité, et à des producteurs de toutes les provenances une ressource généreuse en relève, qu'elle vienne de la région ou non. C'est aussi ce que réussit admirablement à faire le Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue.

Dans la région, ici, il manque une maille à la chaîne. Nous ne pouvons qu'applaudir des initiatives comme la LIMS, qui permet de développer un réseau entre des musiciens de tous âges implantés dans la région, mais aussi de garder contact avec les autres ligues du Québec. Pourtant, il faut plus. Il faut un événement comme il ne s'en fait pas ailleurs, qui attirera les producteurs dans la région. Et il faudra beaucoup d'imagination pour y arriver. Avec tous les festivals de la chanson qui existent…

Nous avons bien sûr le Festival international des rythmes du monde (FIRM). Pourtant, si le FIRM est excellent pour l'économie et la diversité de l'offre culturelle régionale, on oublie facilement que le monde, ça commence dans notre cour, même si c'est souvent moins exotique.

Il faudra peut-être que ça vienne des musiciens eux-mêmes. Une association, peut-être. Une véritable communauté, comme on en a vu poindre d'autres. Pourquoi pas une coopérative de production et de diffusion? On pourrait créer un nouvel alliage à la confluence des différents organismes qui existent déjà. Si aucun effort n'est vain, il faut aussi savoir aller plus loin. Dès aujourd'hui.