Il est rare de voir les arts contemporains accaparer autant l'attention que dans les dernières semaines. Et les différents points soulevés dans les médias m'obligent à un examen de conscience…
Je ne suis ni prophète ni messie. J'ai été parmi ceux qui critiquaient le caractère hétéroclite, voire disparate, de la programmation du 24e Symposium d'art contemporain de Baie-Saint-Paul. Bien sûr, la situation n'était pas idéale – rappelons que Guy Sioui Durand avait accepté à pied levé de prendre en main l'événement qui, autrement, se serait dissolu. Devant l'urgence à laquelle avait été soumis le processus organisationnel, les critiques n'avaient donc pas été trop virulentes, même si le résultat tenait de la pizza artistique, montrant certaines lacunes sur le plan de la cohésion. Or, malgré la situation difficile et la perception que j'en avais eue – comme bien d'autres -, il faut aujourd'hui admettre que le commissaire volontaire avait vu juste.
En effet, plusieurs artistes alors invités à se joindre au symposium par le directeur artistique se sont depuis fait remarquer, de toutes sortes de façons. Le projet de César Saëz, celui de lancer une gargantuesque banane géostationnaire au-dessus du Texas, a marqué l'imaginaire. Une immense structure de bambou, section possible de l'extravagant fruit défendu par Saëz et ses collaborateurs, avait été érigée sur les lieux du symposium. Tout récemment, le projet de Saëz, subventionné par le Conseil des arts et lettres du Québec et par le Conseil des arts du Canada pour un total de 65 000 $, a défrayé les manchettes – un faux scandale s'il en est. Alors qu'ils auraient bien voulu faire une banane flambée de cette manchette, certains médias mal intentionnés, démagogues et sensationnalistes, ont glissé sur leur propre pelure, ne réussissant à prouver que le manque de nuance de leur analyse. Je suis peut-être le seul à me lever assez tôt la fin de semaine pour le savoir, mais l'un des meilleurs traitements faits de la nouvelle aura probablement été celui de l'équipe de Pseudo-Radio (une émission jeunesse!), à Radio-Canada, qui a fait s'envoler une véritable banane en studio… Mais peu importe ces quelques élucubrations (dont vous choisirez lesquelles étaient les plus naïves): l'art fait parler de lui, revendique le droit d'être ailleurs que dans un paysage barbouillé à l'aquarelle.
Mais au-delà de cet écart "scandaleux" – certains parleront plutôt d'un "banana split" -, d'autres artistes ont fait parler d'eux depuis leur présence au dernier symposium. Jean-Jules Soucy, sans doute l'artiste réussissant le mieux à s'attirer la sympathie des gens de la région – et qui se passe de présentation -, a fait des siennes à l'événement État d'urgence organisé par l'ATSA (Attentat terroriste socialement acceptable), en plein centre-ville de Montréal. Organisme sans but lucratif, l'ATSA voit dans le propos esthétique et symbolique de l'art une façon de changer le monde, de stimuler une évolution sociale. C'est ainsi que les 25 et 26 novembre dernier, Soucy a "donné le thon", distribuant de la chair de poisson à des sans-abri, à qui était consacré l'événement. L'expérience a frappé l'imaginaire des journalistes, attirant l'attention de plusieurs médias.
Cette image, extraite du film Matière, de Boran Richard, a même été choisie par les organisateurs pour une affiche promotionnelle du festival Slamdance. |
Autre preuve de la clairvoyance de Guy Sioui Durand? Boran Richard, photographe et vidéaste qui était parmi les artistes participant au symposium, a joui dans la dernière année d'une bonne reconnaissance à l'échelle internationale. Se présentant comme l'un des rares artistes de la vidéo travaillant exclusivement à la réalisation de projets vidéographiques dans la région, il a vu de ses films être acceptés dans différents événements importants s'intéressant au court métrage. En effet, Écoulement, Jours blancs et Matière ont tous trois été présentés au festival Cine en corto, de Mexico, le premier se voyant aussi projeté au Cucalorus Film Festival, en Caroline du Nord. Le film Matière, quant à lui, sera diffusé sous peu au Slamdance, en Californie, un festival international de court métrage. Paraître sur la liste des élus de ce dernier événement, qui vise à nourrir, diffuser et soutenir le travail de réalisateurs indépendants, est une belle occasion pour l'artiste de se faire connaître. Des producteurs new-yorkais l'auraient déjà joint, demandant à voir son travail avant même que le festival ne soit commencé. Même s'il a toujours profité d'une bonne collaboration du festival Regard, il y a d'ailleurs été primé pour Écoulement, aucun de ses films ne fera partie de la programmation pour la prochaine édition. Comme quoi nul n'est prophète en son pays.
Chair et poisson pour les sans abris, signé Souci. Souci transpose ce qui l’entoure, mais transpose-t-il aussi sa propre réalité d’artiste aux conditions de vie modestes? Faire le choix d’une expression artistique non-conformiste, a son prix à payer. Ce n’est pas que dans le monde du social qu’il y ait des missionnaires ou des militants. Mais monsieur et madame tout le monde adhèrent aux projets de Souci, même sans comprendre tout à fait la démarche, parce qu’il a la qualité d’être rassembleur. Je pense entre autre à son tapis «stressé » qui a rallié la communauté. Et les exemples dans ce sens ne sauraient manquer concernant Souci.
Mais comment aborder l’art contemporain, sans accepter qu’il soit parfois et même souvent hétéroclite? Caractéristique qui semblait dérangé monsieur Caron pour la programmation du 24e Symposium d’art contemporain de Baie-Saint-Paul. Pourtant, le propre de l’art contemporain, c’est entre autre qu’il n’y ait pas qu’un seul modèle et une seule recette. C’est marcher sur un fil, sans savoir de quel côté nous allons tomber, parce que l’art contemporain nous fait perdre pied et c’est tant mieux. Il va au-delà du simple divertissement, de la conformité et de l’organisation habituelle. C’est voyager sans chemins en ligne directe, vers une destination non prévisible. Ça ne veut pas dire pour autant de tout cautionner. C’est d’ailleurs du mariage amour haine, acceptation et résistance, qu’évolue peut-être davantage la création. L’art contemporain fait la « Split » et va dans les extrêmes, afin de susciter le questionnement. On ne parle pas de meubler ses murs d’éléments décoratifs, agencés à son décor, mais bien d’un art aux multiples couleurs, même discordantes. Et tant mieux si l’art contemporain demeure marginale, malheureusement au dépend des artistes qui doivent militer pour le faire reconnaître. Il ne réclame pas l’accommodement raisonnable, mais une simple ouverture vers des chemins moins fréquentés.