Il est fréquent que des artistes viennent d'ailleurs pour exposer dans nos centres d'artistes. Mais il est tout de même fascinant de voir que des oeuvres comme celles de Claude Simard aient quitté New York, traversé la frontière et le Québec pour se retrouver entre les murs de Séquence.
C'est un artiste d'ici, alors pour certains ça va de soi. De surcroît, c'est un gars de Larouche qui a pignon sur rue à New York, ce qu'on a souligné au trait gras dans les médias. Et avec l'intrusion du fisc dans son projet de transformer son patelin d'origine en village-musée, il était évident qu'on entendrait parler de lui.
Ce qui me surprend, ce n'est donc pas que ce soit lui qui ait été invité à se produire – selon Gilles Sénéchal, directeur du centre, Séquence se fait un honneur, au début de chaque année, de présenter un artiste natif de la région (citons en rétrospective Patrice Duchesne en 2006 et Martin Dufrasne en 2005).
Non, ce qui m'épate, et alors pas à peu près, c'est que les oeuvres produites par Simard depuis le mois d'août utilisent des matériaux pour le moins insolites.
Qu'on me comprenne bien, je ne remets aucunement en question la portée artistique de ses oeuvres. L'art contemporain, à mon sens, cherche à surprendre, à déranger, à choquer peut-être, à faire réfléchir et s'interroger, sur l'art, mais aussi sur la société et ses règles…
Des matériaux insolites, dis-je? Rien de bien méchant, mais tout de même. Une quantité phénoménale de mouches et d'abeilles mortes. Un chat siamois naturalisé. Même un crâne humain. Et tout ça a traversé mille kilomètres pour se rendre jusqu'à nous.
Ce n'est pas tous les jours qu'on se trimbale avec ça dans le coffre de la voiture, vous l'admettrez. Aussi me suis-je intéressé à l'un des obstacles majeurs qu'aurait pu rencontrer le convoi…
En communiquant avec l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), je me suis rendu compte que les arts contemporains peuvent foutre véritablement le bordel aux frontières. La responsable des relations de presse de l'ASFC souligne que l'Agence met en application une centaine de lois qui proviennent de tous les ministères, et chacun des "matériaux" susmentionnés touchent plus d'une loi, et plus d'un ministère. Dès qu'on sort des catégories préétablies…
La suture des os de ce crâne rappelle le tracé des continents dessiné sur le parchemin qui tapisse l'installation. photo: Marie-Josée Hardy |
En effet, des oeuvres plus conventionnelles ne se heurtent pas à trop de difficultés à la frontière, surtout lorsqu'elles sont destinées à une exposition ponctuelle. Mais l'utilisation de matériaux hors normes est soumise aux lois correspondant à l'importation de ces matériaux en question.
En d'autres termes, Vanitas, cette robe de chair créée par l'artiste montréalaise Jana Sterbak et qui a suscité une vive controverse en 1991 (elle était conçue avec 23 kilos de viande de boeuf) pourrait aujourd'hui provoquer une commotion si on lui faisait traverser les frontières. Serait-elle assujettie à la réglementation en vigueur depuis l'hystérie de l'encéphalopathie spongiforme bovine? Ou la considérerait-on au même titre qu'une oeuvre d'art plus "conventionnelle" parce qu'elle n'est pas destinée à la consommation humaine?
Et si nous prenions l'exemple du bio-art, dont nous avons eu une démonstration avec les oeuvres de Sonia Boudreau au Centre national d'exposition? Qu'adviendrait-il de ces graines, de ces plantes, de ces germinations et développements de bactéries?
Et si un artiste créait à partir d'armes? C'est arrivé. Le projet Tools for Arms, en 2001, permettait aux Mozambicains d'échanger contre des outils les armes qu'ils possédaient, celles-ci devenant un matériau pour créer des oeuvres d'art…
Certaines branches des arts contemporains pourraient bien devoir faire face à quelques problèmes de circulation…
De la même façon, je me suis demandé, d'un point de vue très factuel, ce qui avait pu se produire avec des oeuvres comme celles de Claude Simard. Vérification faite, le chat de Simard, les mouches et les abeilles utilisées pour couvrir certaines de ses installations ne causent pas vraiment de problème parce qu'ils proviennent des États-Unis – si leur origine avait été différente, la situation aurait été tout autre. Pour ce qui est du crâne… La question relève, paraît-il, de Santé Canada.
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CENSURE INTERNATIONALE?
Pour l'instant, malgré une certaine lourdeur bureaucratique – le service de l'ASFC fut toutefois exemplaire, je tiens à le préciser -, les oeuvres d'art même les plus insolites réussissent assez bien à circuler. Et pourtant…
Si d'un point de vue artistique les choix des artistes sont le plus souvent tout à fait justifiables, les politiques internationales sont de plus en plus chatouilleuses. Avec le renforcement des règles de transit transfrontalier auquel nous assistons depuis quelque temps, peut-être sommes-nous à la veille de voir certaines oeuvres retenues à la frontière à cause du matériau qui les compose.
Allons plus loin – l'art doit bien permettre de s'interroger sur la société. En regard de la façon cavalière avec laquelle les États-Unis se sont immiscés dans la gestion humaine de la compagnie Bell Helicopter, pourrions-nous assister, à moyen terme, à une nouvelle forme de censure artistique internationale qui se justifierait par la défense nationale plutôt que par la morale?
En dépit des problèmes de circulation que cela puisse poser, je considère les artistes qui utilisent des ossements humains ou des animaux morts de provocateurs. S’ils en sont rendus là dans leur cheminement pour attirer la clientèle à leurs expositions, je me pose la question sur la qualité artistique de leurs créations. Je me demande s’ils seraient volontaires à leur mort que des parties de leur corps fassent partie d’expositions à la vue de tous. Je trouve que cela frise la profanation. C’est réellement de mauvais goût.
Utiliser des ossements, de la chair morte ou tout autre matériel jugé « provocateur » pour fabriquer une oeuvre d’art n’est pas de mauvais goût. Et si cela provoque une réaction, c’est surtout parce que c’est porteur de sens.
Profanera qui voudra, en art tout est permis pour pousser la réflexion.
Susciter une réaction avec des objets, voilà une réussite artistique!
Les plus grands artistes ont fait caca dans des musées, ont fait des autoportraits avec leur propre sang, bref, n’ont en rien ménagé les vierges offensables de ce monde. Au contraire. Car ce que l’art dit le mieux, c’est ce qui nous entoure, la réalité dans laquelle on vit.
Et si on n’est pas capable de la regarder en face, c’est parce qu’on sait que c’est laid.
Cependant, je pense que lorsqu’on use de stratégies sournoises de marketing pour attirer le regard sur son oeuvre, on prostitue l’art et on provoque l’incompréhension. Parce qu’il n’est plus seulement question d’art, il est aussi question de stratégie publicitaire dans la lignée du « parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en! ». Et du coup, tout se mélange… intentions artistiques, démarche, besoin de visibilité, discours, lobbying, léchage de bottes et recherche d’intégrité. Tout cela donne un ensemble mal assorti et, en bout de ligne, mal assumé.
Les artistes me surprendront donc toujours! Je suis impressionné que cet artiste est pensé de faire ces ouvres avec de tels matériaux, mais je ne voit pas sous quel prétexte rationnel les douanes auraient le droit de s’interposer contre ce type d’ouvre. C’est plus au centre d’exposition de s’interroger dépendament de leur population s’ils peuvent présenter ce type d’ouvre et non à des douaniers qui ne connaissent rien à l’art, tout comme moi! Je crois que l’on ne devrait pas empêcher les artistes de s’exprimer librement.
Là est toute la question. Un artiste est une personne sensible synthétisant les éléments de son environnement dans une oeuvre, comprise ou non par ses pairs, qui provoque une réaction.
< < Le beau est toujours bizarre >> Chaque fois que l’on ressent ce sentiment étrange de ravissement et de pur plaisir devant la beauté, posons-nous cette question: est-ce vraiment bizarre?
Le beau n’a pas le même effet sur tous. Certains n’éprouvent aucun frisson devant un paysage, un tableau, une belle architecture, alors que d’autres sont fortement émus, admiratifs et ravis.
Pour certain , la cohérence géométrique, les proportions, les finis et les couleurs sont des composantes essentielles de la beauté.
Que cela nous plaise ou pas, au Québec le beau ne fait jamais partie des exigences. On exige très rarement un résultat esthétique quelconque. En fin, le laid n’est-il pas lui aussi bizarre?
Honnêtement, on peut crier au génie, autant qu’à la folie. Parfois la marche, entre les deux paliers, est très mince! À tel point, que l’ont peut se demander, jusqu’où peut aller la liberté d’expression, dans les Arts? On aura beau chercher, un peu partout, qu’il n’existe pas (à ma connaissance), de code de déontologie, dans ce domaine? Ainsi, au nom du sacro-saint Art, tout devient donc permis? Je me souviens, d’un type l’an passé, qui a été subventionné, par le gouvernement fédéral pour ses peintures. Avez-vous, l’estomac bien accroché? J’y vais : «Il prenait une fiole de sang, qu’il s’injectait dans l’anus. Ayant l’intestin plein, il n’avait qu’à déféquer sur les murs»! Très chic à voir, n’est-ce pas? C’est dans le même ordre d’idée, que l’on peut s’interroger, sur la pertinence d’utiliser, un crâne humain, des mouches et des abeilles? Provocation oblige? Ainsi, que le dégoût? Qui peut décider, de quoi que ce soit? NOUS! En n’y allant pas, tout en signant notre rejet! Aucune autre solution en vue!
Malgré tout les sentiments « égoïstes » que les matériaux de certaines pièces de cette expo peuvent évoquer, je crois que ces oeuvres sont intéressantes. Peut-on regarder le travail de cet artiste pour ce qu’il est. Les dessins et les photographies présentés sont aussi très générateurs de sens, en fait ils donnent le ton. Je trouve que cette expo est le résultat d’un vécu important obsédé par des images de l’enfance très personnelle. Simard a voyagé beaucoup, à la conquête de l’art, dans tous les coins du monde. Je vois un travail d’artiste sensible imprégné de souffrance, de solitude, de fragilité, de malaises devant la vie. La mort est ce qui donne sens à la vie et nous sommes nous-mêmes faits de matériaux inertes. Aller, réfléchissons : les artistes ont le droit d’expérimenter : l’art peut être une science! Si on peut utiliser des ossements dans d’autres discipline (médecine, anthropologie, archéologie) pourquoi ne pourrait-on également faire avancer la discipline de l’art. Le crâne humain qui est dans cette expo n’aurait pas eu la même portée s’il avait été exposé dans un musée d’histoire naturel ou sur une tablette poussiéreuse d’un laboratoire de biologie au 4e étage d’une université. Ici il fait partie d’une oeuvre d’art. J’aimerais mieux donner mon corps à l’art pour que mes os puissent provoquer une expérience esthétique (questionnements, ravissements ou dégoûts) qu’à la science pour être dépessé froidement par un étudiant en chiropratie…