Ailleurs, en ces lieux où le problème le plus urgent est le vieillissement de la population, on dit que "ça tombe comme des mouches". Ici, le problème est amplifié du fait que ça tombe aussi comme des fruits mûrs parmi les mousses des sous-bois. Parce que nos Bleuets, dès qu'ils sont mûrs, on les exporte aux quatre coins du Québec, voire du monde – je ne vous apprends rien.
En fait, on aime bien se rappeler que ceux qui ont quitté devaient absolument le faire pour réussir.
On se laisse croire que leur succès en dépendait fatalement, qu'il n'aurait pu en être autrement, que dans cette enclave, pépinière (ou bleuetière) de bonnes gens, l'épanouissement n'aurait pu se produire de la même façon.
On se console en se disant que le Bleuet exilé qui "réussit" fait rayonner la région ailleurs. Comme si c'était une petite vengeance pour toutes ces fois ou l'on s'est senti envahi par ce qui venait, justement, de cet ailleurs.
Mais encore. Quand ce qui vient d'ailleurs affirme être originaire du Sag-Lac, qu'il retrouve, sous la sédimentation des poussières généalogiques, une arrière-grande-tante, née Almatoise ou Jonquiéroise mais obligée à un malheureux exil – parce que, semble-t-il, il ne s'agit jamais d'une question de volonté -, alors il peut venir faire ses sparages en toute quiétude sur l'une de nos scènes, il se verra accueilli convenablement, peut-être même en héros.
Diagnostic? À vue de nez, c'est probablement le syndrome du retour de l'enfant prodigue.
Or, les artistes le savent. Et évidemment, certains abusent.
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DU SANG BLEU
Toutes les semaines, je reçois des appels – il s'agit souvent d'interurbains, on s'en surprendra -, des courriels plus ou moins officiels ou de très sérieux communiqués de presse où l'on encode invariablement une formule comme "Nous sommes des gars du Saguenay, du Lac-Saint-Jean", ou "Ça me fait tellement plaisir de revenir chez nous!", ou encore "Je connais bien le coin, c'est là que j'ai grandi!".
Et alors on sort les violons, et nous voilà repartis pour une larmoyante envolée verbeuse, alignant les clichés et les lieux communs de l'identité régionale… "C'est un vrai de vrai Bleuet!", "Il est vraiment proche de ses racines…", "Son coeur est toujours resté dans la région", etc.
Devant ce sentiment d'appartenance exacerbé, je m'interroge souvent – on me fustigera, mais j'ose tout de même… Qui a le droit de se réclamer de la "longue lignée" des Bleuets? Est-il possible de le devenir? À partir de quand? Faut-il naître Bleuet? Et le "natif", quant à lui, reste-t-il Bleuet à la vie à la mort? Malgré toutes les errances?
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DU PROTECTIONNISME
Si je soulève ces questions, ce n'est certainement pas pour susciter un divorce entre ceux qui restent et ceux qui partent. Je ne suis pas un partisan de l'isolement. Mais il me semble tout de même qu'il faut être conscient du phénomène.
Parce qu'ils sont nombreux à vouloir profiter de cette tendance à un protectionnisme – que je continue de croire légitime -, à abuser de notre rapport farouche avec la métropole, ou avec le "reste du Québec".
Et l'abus n'a pas d'écho que sur le plan culturel. C'est un très riche filon pour certains commerces qui profitent de ce protectionnisme pour se graisser la patte.
Je crois bien avoir une conscience sociale et régionale… Je suis de ceux qui encouragent l'achat local, je participe même à un projet d'agriculture soutenue par la communauté, et tout le tralala. Bref, un vrai petit citoyen modèle… (Bon, c'est exagéré, je n'ai pas la prétention d'être un modèle, mais vous voyez le portrait…) Pourtant, même avec la meilleure volonté du monde, quand j'entre dans une boutique et qu'on me demande presque le double de ce que je paierais ailleurs – j'ai déjà vu une différence d'une vingtaine de dollars pour un coffret de livres -, je ne peux m'empêcher de sourciller.
C'est vrai qu'il est plus facile de pester contre les grandes surfaces. D'ailleurs, c'est de bon ton, à notre époque. Mais faut-il nécessairement se taire devant l'abus des indépendants? Que ce soit clair: j'accepte de payer quelques sous de plus pour une pinte de lait produite dans la région. Je ne regarde pas non plus le prix du boeuf si la bête a brouté sous le ciel saguenéen. Et je crois sincèrement faire tout ce qui est en mon possible pour la culture régionale.
Par contre, je n'accepterai pas n'importe quoi.
Soyons critiques. Envers tous ces artistes qui se réclament du Sag-Lac. Envers ces indépendants qu'il faut encourager, mais qui, en retour, doivent être raisonnables. Et lorsqu'il y a abus, signifions notre mécontentement.
De un:
Les grandes surfaces vendent moins cher, c’est un fait. Alors, qui va acheter dans les grandes surfaces? Les gens qui n’ont pas les moyens de payer plus cher pour le même produit, même s’il est fait ici. Et pourquoi les grandes surfaces peuvent-elles vendre les produits moins chers? Parce qu’elles paient moins cher les gens qui font les produits. C’est, je pense, un cercle vicieux de pauvreté. La pauvreté engendre la consommation pauvre. Et qui peut en vouloir à quelqu’un qui n’a pas beaucoup de sous d’acheter le moins cher possible?? C’est l’oeuf ou la poule… Et les priorités changent, en fonction des moyens. Malheureusement. Mais développer son esprit critique est sans doute le début d’une solution…
De deux:
À l’époque où nous vivons, avec tous les moyens de communication mis à notre disposition, je pense que partir dans la grande ville pour réussir est un mythe. Dans le temps de mes parents, où vingt-cinq maisons partagaient la même ligne téléphonique, la grande ville présentait des opportunités extraordinaire pour ceux qui voulaient aller plus loin que la vie de patelin. Mais aujourd’hui, à quoi bon? Tout se compresse, s’envoie par internet, par la poste, les interrurbains sont en voie de disparition… Je pense qu’aller vivre en plein coeur de Montréal ne permet pas plus de réussir que de demeurer au centre-ville de Chicoutimi. Parce que le talent est exportable de manière virtuelle. Ainsi, je salue tous les artistes qui croient en la région, qui se disent régionalistes et qui exportent leur talent tout en gardant la conviction qu’ici, il a de la place pour s’épanouir et réussir.
Les ressources naturelles s’épuisent et les jeunes de notre région s’ent vont vers les grandes villes. Que faire?
Les jeunes travailleurs qualifiés et les entrepreneurs se mettent à émigrer en masse vers les grandes villes. Ainsi privée de ses forces vives, une région comme la nôtre voit ses chances de développement économique et de création d’emplois diminuées. Les grandes villes se livrent à une séduction compétitive pour attirer les diplômés. Nous avons d’énormes défi à relever. L’emploi étant le critère numéro un pour décider les jeunes à rester. Trop de jeunes ne peuvent espérer revenir dans la région parce qu’il n’y a pas d’emploi pour eux. Ça doit changer.
Pourtant nous pouvons offrir tout ce que les grands centres offrent; une vie culturelle bien remplie, une équipe de hockey régionnal et surtout une ville vivante où je suis fière de rester.
Et c’est vrai de dire que les bleuets sont fiers de s’afficher comme des bleuets, c’est une fierté que chaque bleuet porte en lui et qu’on ne pourra pas lui enlever et heureusement.
Les jeunes qui ont le choix de revenir le font sans hésitation. Mes deux filles après des études à l’extérieur ont d’abord cherché un emploi ici, et oui!elles sont revenues et gagne très bien leur vie chacune dans son domaine.
Comme partout au Québec , il est difficile de trouver des produits locaux dans les supermarchés, nous sommes saturés de denrées provenant de l’extérieur et toujours à meilleur prix. J’essaie d’acheter régionnaux, mais c’est pas facile. Nous sommes dans un marché libre. C’est le profit qui compte pour les entreprises, il faut donc choisir avec les moyens que nous avons. Manger régionaux est bon pour l’économie, la santé et l’environnement. Alors, je suis prête à payer quelques sous de plus pour privilégier les aliments d’ici et encourager les producteurs locaux.
Et souhaitons que les Wal-Mart. Loblaws et autres mégasurfaces ne viennent jamais tuer nos producteurs .
Tout d’abord, je vous félicite d’avoir le courage, de mettre les points sur les : «i »! De plus, je suis d’accord avec vous. Qui possède, la pureté du sang, de n’importe quelle couleur? Vous me répondrez, ceux qui sont nés sur les lieux? Possible? Mais eux, d’où proviennent-ils? Bonne question? D’ailleurs, de descendance d’Europe? Avec un petit mélange Amérindien? En fin compte, nous sommes tous des immigrants, à plus ou moins long terme! Ayant, connu une situation assez, similaire à la vôtre, je crois qu’il faut être capable, de dédramatiser ce propos. Et sur ce point, je ne doute certes pas, de vos capacités! Car, que nous soyons de Québec, Montréal, ou ailleurs, nous sommes tous : Québécois! Et, de commencer des chicanes de clochers, il faudrait en faire notre arbre généalogique. Et encore, je ne vois pas l’utilité, de faire partit, de ceux/celles, qui ont le sang pur! Alors, vive l’impureté!!!
Je ne pense pas qu’il faut faire tout un plat avec cette question là. C’est sûr qu’il y aura toujours des artistes qui essayerons de se faire passer pour des gens de la région, la raison en est fort simple, il y a des gens comme vous Monsieur Caron qui sont porter à consommer des produits régionaux. Alors, c’est certain que le système s’adapte en conséquence et que l’on a droit à ces semi mensonges pour vendre.
D’un autre coté vous n’avez pas tort de privilégié certains produits régionaux, mais je ne crois pas que l’on soit rendu à s’en poser la question. Il y a des extrêmes dans le marché, je pense à Walmart, je crois qu’on devrait s’en débarrasser pour avoir une saine concurrence.
Je suis entièrement d’accord avec vous. Il y a un petit quelque chose qui me chicotte quand je vois des gens acclamer un artiste originaire de la région, justement parce qu’il est originaire de la région..! Mais, à quand remonte sa dernière visite ici? J’ai parfois l’impression que clâmer que nous venons du Saguenay Lac Saint-Jean nous attire souvent des sympathies, que les gens se diront automatiquement « Tiens, c’est du bon monde ça! » comme si la région d’où l’on vient influait réellement sur notre façon d’être..
Je suis étudiante et par chance j’ai choisi un domaine qui me permettra de demeurer dans la région. Cependant, j’ai l’impression que dès que l’on se tourne vers des domaines plus artistiques il faut nécessairement s’exiler. Je n’ai rien contre la radio et la télé régionale, mais avouons qu’il y a plus valorisant que d’animer Chapeau l’été! Vous n’avez pas l’impression parfois que le « milieu artistique » au Saguenay se résume à une vingtaine de têtes d’affiche qui se rellaient de temps à autres, flirtent avec d’autres médias et sont présents depuis assez longtemps? Comme qui dirait : c’est pas mal les mêmes faces qui reviennent..!
Cependant, je crois fermement que nous pouvons améliorer cet aspect de notre région. Il y a forcément un moyen d’améliorer les événements culturels régionaux (la preuve, nous avons de plus en plus de festivals très intéressants) mais pour ce faire, il faudra que les gens se déplacent pour aller à ces événements! Il faut encourager le régional, tant au niveau des produits de consommation qu’au niveau artistique! Si des gens se forcent à organiser des spectacles, des événements, il faut que tout le monde encourage cette initiative! Plusieurs sont si fiers de voir un Bleuet à Tout le monde en parle.. mais le Bleuet qui se force à offrir des événements régionaux lui, l’encouragez-vous??
Il faut donc avoir une meilleure conscience de tout cela, et si tout le monde fait son petit effort, on y arrivera! ;)
Je ne sais pas trop, même en relisant à quelques reprises dans Pop culture les propos de monsieur Caron, quel est le réel but visé par son article. Qui a prétendu que consommer les produits du terroir, toutes régions confondues, était une économie au plan individuel ? Qu’il y ait de l’abus à tenter de nous vendre un minuscule pot de confitures à 10$, j’en conviens, à moins que le petit fruit exige un temps fou à cueillir et qu’il exige aussi une quantité assez importante pour donner ce petit pot, alors je peux comprendre.
Et monsieur Caron semble avoir un malaise avec le fait que pour attirer son attention, il lui est mentionné un lien avec la région par un artiste de l’extérieur du territoir bleuets. Pourtant les organismes culturels ne sont pas mal à l’aise avec le fait d’aller chercher un ou une artiste de l’extérieur pour une présidence d’honneur d’un événement, en insistant parfois sur le fait que cette personne est native de la région ou a un attachement particulier à la région, même si cet artiste n’y met pas les pieds bien souvent.
Nous consommons de la culture dite d’origine de tel ou tel pays. Nous adoptons de coeur un coin de pays, une famille, des amis. Alors c’est quoi le problème au juste ?
Je suis fière de dire que mon père naturel était natif des Îles-de-la-Madeleine et que sa mère était d’origine Irlandaise. Je suis fière aussi que mes arrière-grands-parents maternels étaient Montagnais et que je porte donc dans mon bagage familial, des origines différentes qui me donnent le goût de découverte pour ce qui n’est pas strictement et exclusivement « pure laine » ou pur « bleuet ».