Pourquoi pas?
Nous avons tous goûté, déjà, à l'amertume qui nourrit le travail des poètes. Nous sommes parfois découragés devant l'inaction de nos contemporains, devant leur résignation. Nous nous sommes peut-être tous déjà demandé pourquoi rien ne bouge, pourquoi personne ne sort dans la rue, pourquoi les situations même les plus absurdes sont acceptées. Nous avons notre propre point de vue, quelque chose à dire, et trop souvent nous n'arrivons qu'à le siffler entre les dents avant de nous renfrogner d'un air grave.
Alors nous sommes tous des Pierre Demers. Il suffirait d'ouvrir la bouche, de cesser de se taire, pour s'en rendre compte.
Demers est un poète qui refuse toute obédience. Il ne défend ni la veuve ni l'orphelin, préférant défier les instances établies qui tiennent pour acquis le trône où elles siègent. Syndicaliste prompt et intellectuel, il a cette maîtrise particulière de la ligne de punch, n'hésitant pas à s'élancer pour la mettre droit dans les dents de ceux qu'il satirise. Sa poésie, souvent descriptive – son recueil La Brume de Cuba, plaquette parue aux éditions Trois-Pistoles, en est un bon exemple -, montre sa capacité de porter un regard lucide sur le monde, qu'il traduit généralement de façon ironique, voire irrévérencieuse (au plus grand plaisir de ceux qui profitent de ses lectures).
Et surtout, il laisse beaucoup de place à une relève en laquelle il croit. Peut-être parce qu'il vaut mieux se casser la gueule que se taire. Les Stéphane Boulianne, Roby Barrette, Jean-Pierre Dallaire, Marcie Gagnon, Isabelle Tremblay ont pour la plupart tâté de la poésie pour la première fois en public grâce aux Poèmes animés, dont Demers partage l'organisation avec Claude Bouchard.
Le problème vécu par Demers et les incendiaires de sa trempe, c'est qu'ils prêchent généralement devant des convertis. Je crois même qu'il avait, depuis un certain temps, cessé de croire qu'il pourrait vraiment changer les Jean Tremblay et les Louis Champagne de ce monde, qu'il n'espérait pas VRAIMENT rejoindre le "vrai monde" – peu importe ce que signifie cette expression galvaudée par les deux personnalités publiques ciblées. Je l'imagine sans trop de mal s'amuser de la situation, voyant soudainement cette attention inespérée accordée à son nouveau film.
Ça fait du bien parfois de hurler. Mais c'est tellement plus satisfaisant quand notre propre cri se répercute en échos.
Le film en question, qui fait déjà grincer des dents, s'intitule Nous sommes tous des gros Champagne. Il a été réalisé par le collectif Le Citoyen d'abord, dont le nom est inspiré de la marotte du maire Tremblay, tête de Turc des précédents pamphlets vidéographiques (la série Nous sommes tous des Jean Tremblay). Or, cette fois, Louis Champagne aurait annoncé qu'il sera présent lors de la projection, et aurait même invité ses auditeurs à le suivre… Peut-être aurons-nous droit à des poèmes particulièrement animés, ce jeudi 3 mai… Voire à de la poésie-action improvisée?
Le plus drôle dans toute cette galère, c'est que, si Champagne ne se désiste pas, les soirées de poésie de l'année prochaine auront été subventionnées en partie par les entrées de Louis Champagne et compagnie… Ah! Douce ironie!
ooo
LA PENSEE UNIQUE
Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en. D'une certaine façon, Pierre Demers joue le jeu de Louis Champagne, avance sur son terrain, et accepte ses règles – sans pour autant renier les siennes propres. Car l'animateur vedette de CKRS ne se refuse pas grand-chose en ondes, alors Demers ne s'est certainement pas empêché de mordre.
Il faut savoir goûter ce que l'on sert aux invités.
Après les propos homophobes qu'avait tenus Champagne à la radio, c'est avec des demi-excuses qu'il avait pu reprendre son poste, soutenant toujours que les élections lui donneraient raison. Depuis, Sylvain Gaudreault, qui avait essuyé le fiel de l'animateur, a été élu. Dans sa lettre d'excuses, Champagne se disait persécuté par les intellectuels, pris en otage par la pensée unique, et défendait son droit de penser autrement.
Drôle, tout de même, que ce soit justement la culture de la pensée unique que dénonce Demers, phénomène qu'il attribue plutôt à l'animateur populiste qu'à des intellectuels, comparant les auditeurs de "Champagne pour tout le monde" à un troupeau de moutons sans esprit critique. Comment la conscience citoyenne, après s'être fait manger la laine sur le dos toute une vie, suit le chemin vers l'abattoir – et l'abattement – purs et simples.
Quand dans un ring les boxeurs sont trop proches l'un de l'autre, ils en viennent paradoxalement à s'embrasser – au sens où ils se serrent dans leurs bras -, se protégeant ainsi des coups que l'autre pourrait porter. Ce n'est pas que je croie que la réconciliation soit possible entre ces deux personnages aux intérêts diamétralement opposés. Je dis que les plus beaux uppercuts ne peuvent se faire qu'à une distance respectable. Et surtout, qu'il n'y aura aucun arbitre ce jeudi au Côté-Cour. Assisterez-vous au premier round?
La langue peut être une arme. Les mots peuvent donc ¨fesser¨
comme dans un combat de boxe. Ceux qui savent manier les mots
habilement, sauront trouver leur auditoire et ainsi croire qu’ils pourront
dévaster leurs adversaires.
Donc : Dans le coin droit : Le cracheur de mots Louis Champagne;
vedette du petit micro depuis des lustres au Saguenay,
défenseur du peuple devant l’éternel. Ce peuple qui le soutien et le fait
vivre. Loin d’être un Cyrano de la langue, il la manie tout de même
de façon éloquente et crue. C’est un boxeur poids lourd, qui peut en
un rien de temps vous salir une réputation, vous trainer
dans la boue le moindre fonctionnaire, le moindre politicien.
Tout ça entre deux pubs de chars et une nouvelle sportive.
Un vrai Rocky, mais sans muscles, sans style, mais qui en bave un bon coup!
Un monsieur qui fait sa job comme il se doit et qui fait vivre à lui seul une station
de radio. Un véritble héros populaire! Un presque intouchable! Un roi chérit par
son auditoire qui en redemande! Donc, un vrai bon yiable pour ses supporteurs.
Dans le coin gauche: Le jongleur de mots Pierre Demers;
véritable intello, professeur de cégep et animateur de soirées
de poésie. Loin d’être un Roger Brulotte de la langue, il la manie
avec élégance, style et efficacité. C’est un poète et un vrai de vrai.
Son propos est très nuancé et très recherché. Sauf que parfois,
il peut pèter une coche et devenir cinglant.
C’est un poids plume mais qui manit la plume dans un gant de fer.
Il a une sainte horreur de la médiocrité et de la petitesse humaine. Il ne peut
supporter les penses petits et les chialeux de service. Alors il fesse à coup
de lettres ouvertes et de documentaires. Il devient ce grand pamphlétaire adulé
par la ¨gente étudiante¨ mais ignoré du bon peuple.
Il a du contenu pourtant, mais il fesse dans le vide….Donc on m’annonce
à l’instant que le combat n’aura pas lieu. Ah mots-dits!
J’aime bien voir des duels d’idées comme celui-ci, ça nous permet de réfléchir à certaine question que l’on prend trop souvent pour acquise et à en réveiller certain de temps en temps.
Je félicite l’audace de monsieur Pierre Demers, même si son adversaire a des idées plutôt simplistes et . À ce demander pourquoi il a atteint cette popularité.
Peu importe la nature et le sujet des débats, se sont eux qui font avancer les questions de société. Ils sont donc nécessaires à tout bon développement, ou correctif dans le cas présent
On dit, que le silence est d’argent, mais que la parole est d’or! Et que dire, de bien jongler avec les mots, pour mieux les verbaliser en poésie? Elle frappe, tel un coup poing, en plein visage : «Speak White, de Lalonde». Nous fait transcendé, au-delà des mots : «Allôôô leee mondeee, de Duguay». Nous rallie, à une conviction idéologique : «tous, unit vers un seul horizon, de Miron». Et, finalement, nous boxe en pleine gueule, enfin de nous tenir éveiller : «le troupeau, de Demers». Pour en conclure, qu’il faut parfois hurler, plus férocement que les loups, afin d’enterrer leurs échos?