On voudrait la toucher. On voudrait s'approcher assez pour que notre index flirte avec cette présence quasi mythique. Pour effleurer ce corps indocile et distant par nature, ces cheveux au brushing magnifique ou ces vêtements griffés. Pour respirer son séduisant parfum d'éther.
Quand la chanteuse se penche avec intensité sur la foule en transe, ses tempes perlant de sueur tiède sous l'ardeur des projecteurs, les mains des spectateurs, soumises à l'irrépressible attraction, se soulèvent dans l'espoir d'atteindre l'inatteignable icône.
C'est l'écho de ce moment de grâce qu'on cherche lorsqu'on ouvre au hasard la dernière revue à potins. On voudrait démasquer ce personnage illustre, toucher ses trésors les mieux dissimulés, s'offrir son coeur en petites bouchées pour pouvoir absorber un peu de son éternité. L'avoir pour soi, rien de moins.
Petite parenthèse. J'ai vu récemment le film Sa Majesté la Reine (The Queen, réalisé par Stephen Frears). Oui, je sais, j'accuse un retard important… Pas moyen d'être partout à la fois, malheureusement, mais là n'est pas la question.
Ça m'a fait réfléchir un bon coup. Quelle véritable différence y avait-il entre la princesse Diana et la famille royale? L'implication sociale? Allons donc. Si c'était le cas, tous les bénévoles du monde auraient leur heure de gloire – et des funérailles princières.
Ce qui a fait la différence – jusqu'à la toute fin -, c'est le flash des appareils photo, et la plume, doucereuse ou assassine, de gratte-papiers bon marché. Fin de la parenthèse.
D'un ton badin, je lançais récemment, sur le blogue Saguenay/Alma: À perte de vue, une invitation à créer une revue à potins régionale. Or, si de prime abord c'était à peu près une blague, je suis obligé de rajuster le tir.
Une revue à potins. Je ne pensais jamais y venir un jour, mais c'est peut-être tout ce qui manque à la vie culturelle du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pas des entrevues de fond. Pas des pré-papiers. Pas une meilleure critique. Pas une couverture nuancée et intelligente des événements culturels. Une revue à potins, point à la ligne.
Les gens veulent des vedettes, pas des artistes. Alors il faut faire de nos artistes des vedettes. C'est ça le show-business. Donner au public ce qu'il attend.
La réponse était si simple. Transformer nos musiciens, nos comédiens, nos artistes en chair à Canon – je parle de l'appareil photo. Qu'ils soient sans cesse scrutés par les lentilles les plus voyeuses. Si c'est la laque qui fait la vedette, appliquons-en de bonnes couches sur les artistes qui meublent notre paysage culturel.
Et ça fonctionnerait? Pourquoi pas! La preuve en a été faite le jour où on a transformé en vedettes des individus sans talent autre que celui d'avoir un beau visage – et encore. Par le biais d'une ponction sociale finement orchestrée, on transformait le type ordinaire en vedette instantanée simplement en lui étalant la face dans quelques médias de même lignée éditoriale.
Alors voilà ce que doivent faire les instances en place (le Conseil régional de la culture, le Conseil des arts de Saguenay, et tous ces organes qui s'intéressent à notre avenir culturel) s'ils veulent vraiment donner un coup de pouce à la culture du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Il faut se doter d'une armée de paparazzis, de quelques psychanalystes de foire – qui savent écrire, si possible, mais il semble que ce ne soit pas ultimement nécessaire. Il ne restera plus qu'à transformer tous nos bons artistes, affables et passionnés, en vedettes surexposées et torturées. Et s'il n'y a pas assez d'intrigues parmi la faune artistique saguenéenne, on n'aura qu'à en créer de toutes pièces.
Que je suis retors.
Et ceux qui me diront que ce serait trop artificiel n'ont rien compris. C'est ce dont on a besoin, de l'artifice. Il suffit de lorgner du côté des stands de revues au supermarché de votre choix pour en avoir quelques percutants exemples. Le show-business est échafaudé sur du toc.
Alors, artistes de tout le Royaume… Comédiennes qui bronzez seins nus sur un ponton, ballottées par les vagues du lac Saint-Jean… Musiciens qui traînez avec la racaille des ruelles du centre-ville… Artistes de tous genres qui raffolez des amours passagères et qui êtes aussi fertiles en intrigues amoureuses qu'en créations à proprement parler… Danseurs qui jalousez de sombres souvenirs d'enfance qui feraient rougir les mégères… Attention. Peut-être aura-t-on compris que je suis au moins à moitié sérieux.
BONNES VACANCES
Pour ceux que cette chronique inquiéterait: je m'en vais en vacances pour une longue semaine – que j'espère méritées…