La rue Racine est parée pour son plus grand rendez-vous annuel. Voilà, le contact est établi. Mais si tout Saguenay bat au rythme du monde cette semaine, on vivra un début de mois d'août plutôt arythmique. Car il ne faudrait pas croire que le monde a un coeur qui bat d'un rythme aussi parfait.
Il y a plus d'une façon de voir le monde. Comme ces touristes ventrus qui prennent d'assaut les plages aseptisées des Clubs Med, s'amusant sous la férule de leur G.O. dans ces paradis à l'exotisme organisé… ou alors comme des citoyens du monde, conscients et avisés.
Être conscient, c'est savoir que pendant que nous dansons…
L'Afrique noire se déchire encore trop souvent contre le métal blanc, écorchée par l'occupation occidentale qui se l'est aveuglément morcelée.
Près du Cap, on craint pour une génération orpheline qu'elle soit sans avenir alors que toute l'économie du pays montre des signes d'immunodéficience.
Plus au nord, au point de naissance du Nil, un village dérive encore dans les eaux boueuses des torrents. Des habitants décasés, plus d'une quarantaine ont senti le sol se dérober sous leurs pieds pour la dernière fois.
Plus à l'est, dans le gouffre bitumineux de l'Afghanistan, une poignée de nos soldats serrent les dents et, sans larmes ni esclandre, accomplissent leur mission. Au même moment, le corps abandonné d'un autre otage coréen est retrouvé, criblé de balles.
À Bagdad City, un enfant s'est éveillé dans le silence détonnant d'un sommeil encombré de poussières. Le ciel atone s'est engouffré dans sa chambre. Au petit matin, la façade de son immeuble s'est effacée, soufflée par l'haleine brûlante de la haine. Au ras du bitume, la poussière a à peine le temps de retomber.
Dans les manufactures infantiles du Bangladesh, une flopée d'enfants pieds nus fabriquent des espadrilles comme celles avec lesquelles nous danserons dans la rue Racine. Chaque fois qu'on lace ses souliers, sentir son coeur se serrer.
À Port-au-Prince, une fillette aux traits ravagés, le canon sur la tempe, se voit dardée par les ardeurs d'un jeune caïd qui laisse libre cours à ses plus sordides impulsions. Elle taira cet assaut comme les deux précédents qu'elle a subis.
Dans les rues de Bogota, ce soir, on ne dansera pas. On préférera rester chez soi, presque à l'abri des coups de feu qui ont tonné dans l'air andin.
En fait, il suffit de googler la pire nouvelle que vous pouvez imaginer pour vous rendre compte que ça s'est produit pour vrai. Vertiges assurés.
Ce qui manque, au Festival International des Rythmes du Monde (FIRM), c'est une conscience sociale internationale. Alors que tous les horizons convergent vers nous, que le nombre de festivaliers, selon les prévisions des organisateurs, devrait encore augmenter, il manque un point de vue global.
Les gens devraient savoir qu'en achetant à peu de frais un tam-tam importé d'Afrique, en plus de s'encombrer d'un ramasse-poussière trop souvent inutile, ils contribuent à la déforestation d'une terre qui se désertifie.
Évidemment, il ne faudrait pas dénaturer le festival – il s'agit, d'abord et avant tout, d'une fête. On a tous les droits de s'éclater sans culpabiliser quant au sort des enfants des bidonvilles, aux exactions arbitraires commises en toute impunité, à l'exploitation des paysans ou à la tragédie des manquements aux droits de l'homme en Chine.
Toutefois, je me plais à rêver que si la musique est un langage universel, peut-être la conscience du monde naîtra-t-elle d'un intérêt pour ses rythmes exotiques…
Au-delà de l'intérêt grandissant qu'il suscite, le FIRM pourrait réussir à éveiller un profond respect, tant de la part de la population que des visiteurs. Il suffirait qu'il agisse comme un véritable citoyen du monde pour transformer ce qui pourrait n'être qu'une mode – le goût pour les musiques du monde – en une institution solide digne de respect. Il me semble qu'on est en droit d'exiger, de la part d'un événement qui vise rien de moins que d'être parmi les plus grands, qu'il offre PLUS qu'une programmation irréprochable.
Il suffirait de peu. Des dîners-causeries avec les artistes permettant d'échanger sur les enjeux de leur propre pays. Des rencontres d'information, des dignitaires étrangers, des colloques réfléchissant à des solutions possibles… Voire une fondation, pourquoi pas? N'importe quoi pour que le festival ne soit pas vain, qu'il ait une incidence sur le devenir de l'humanité. Avec tous les festivaliers qui se pressent dans la Racine, le FIRM a le pouvoir de changer quelque chose, même sans investir un sou de plus. Et si ça se trouve, les organisateurs pourront peut-être ainsi atteindre plus facilement leurs objectifs budgétaires plus tôt que prévu. Parce qu'au lieu d'être un simple rendez-vous annuel, l'événement consolidera une fierté inébranlable.
Si rien n'est fait, à mesure qu'il grossira, le FIRM sera chaque année un peu plus en danger de ressembler à un vulgaire attrape-touriste alors qu'il y a tant à faire. À moins que son intérêt pour le monde ne soit que de la frime.
Je dois dire d’entrée de jeu que je suis bien d’accord avec le propos de votre papier.
Le festival de Robert Hakim est une foire capitaliste. Une opération pour rentabiliser les commerces du haut de la Racine, restaurants, boutiques et bars. La preuve étant que la superficie des terrasses semble doubler d’année en année, laissant de moins en moins de place pour les simples spectateurs qui s’entassent et étouffent, cordés comme des sardines dans le peu d’espace disponible.
C’est très bien pour l’économie locale, du haut de la « main », c’est incontestable. Mais on est à des milles d’un début de conscience sociale, tel que vous le souhaitez dans votre chronique.
Sauf pour ce qui est du Café Cambio, ilôt équitable et conscientisant, on nous gave de bière,de publicités, de smokemeats, de hot dogs, de babioles importées pas équitables du tout. C’est à se demander si il reste une place pour la musique dans ce brouhaha consumériste.
Et si on pensait un peu plus au public? On pourrait étendre la superficie du festival au bas de la ville, pour donner plus d’espace pour respirer aux mélomanes et autres amateurs de musiques du monde. Et cela permettrait peut-être de revitaliser un centre-ville qui en a bien besoin.
Faisant contre bonne fortune bon coeur, je me réjouis quand même de voir des musiciens du monde nous partager leurs belles musiques, même si cela implique que j’accepte de voir mes orteils écrasés par quelques pieds maladroits. Mais cela ne m’empêche pas, comme vous, de rêver mieux.
En espérant que vos précieuses suggestions soient entendues par les organisateurs de Rythmes du monde, je me rappelle qu’à la fin août, Alma accueillera le tamtam macadam qui laissera, lui, beaucoup de place à une véritable découverte du monde et à un début de partage entre les cultures…
J’avoue que vos commentaires sur les problèmes que vivent les habitants de ces pays sont justifiés mais lors d’un festival comme celui-ci ce n’est pas le temps de tenter de sauver le monde . C’est un événement qui nous permet de découvrir différentes cultures musicales et qui nous permet d’apprécier la joie de vivre et l’énergie que dégagent les participants . Ce genre de retrouvaille annuelle nous aide à oublier nos soucis quotidiens et devraient être complètement détachés du cadre politique . On s’amuse avec ces artistes diversifiés et on oublie la couleur de leur peau , leur langage et leur ethnie . C’est un moment de fête et d’harmonie universelles qui dépassent largement le cadre de l’actualité . Pourquoi tenter de mettre un nuage noir sur cette rencontre culturelle unique alors que la semaine est consacrée à l’amour , l’amitié et le partage . Faut faire la part des choses !
Chicoutimi en bouffe pourrait aussi mettre la table pour que se concrétise votre idée monsieur Caron, pour des activités de soupers causeries permettant de nous conscientiser et d’identifier des pistes de solutions pour l’avenir de l’humanité.
Le café Cambio pourrait initier certaines activités qui vont dans ce sens. Par contre, celui-ci ne semble pas faire partie des partenaires participants, comme certains bars et restaurants mentionnés sur le site Internet du FIRM.
Est-ce que pour les kiosques commerciaux du festival, le commerce équitable est encouragé ? Certains kiosques pourraient être identifiés « ÉQUITABLE » et nous pourrions y retrouver des informations nous permettant de nous sensibiliser à la consommation responsable. Pourquoi pas effectivement un colloque en parallèle aux activités du FIRM, en partenariat avec la chair en Éco-conseil de l’UQAC et le Centre de solidarité international Saguenay-Lac-Saint-Jean?
Pour avoir une approche conscientisante, nous ne pouvons pas nier qu’il y a aussi chez nous des différences de classes sociales. Il suffit de regarder les terrasses VIP qui sont près des scènes, pour savoir de quel bord des choses nous nous retrouvons. Nous ne sommes pas égaux, même à travers un festival populaire.
Une terrasse VIP FAMILLE permettrait au moins aux petits de ne pas être caché par la foule d’adultes ? Est-ce que le FIRM tient compte dans son organisation que des groupes en provenance des garderies ou des camps de jour viennent voir les animations et les spectacles l’après-midi ?
Et finalement, faut-il vraiment se demander si c’est au FIRM de porter le sort du monde à travers sa mission et ses activités? Le FIRM prendra la couleur des gens de la population, du milieu des affaires, institutionnel, culturel et communautaire qui s’y impliqueront. Je suis certaine que cette organisation demeure ouverte aux idées qui les démarqueraient des autres festivals. Un ÉCO ÉQUITABLE festival aux rythmes du monde. Pourquoi pas?
On est toujours conscient, ne serait-ce que de notre propre conscience, qui se projette dans notre inconscient! Et, plus l’on s’en rend compte, plus on raffine notre jugement, au risque d’en perdre la joie de vivre? Posséder, le sens critique de ce que l’on voit, ou entend, ne devient pas synonyme, de porter le monde sur son dos pour autant! Il est possible, que l’on ait une vision, moins embrouillée, par toutes sortes, de faux-semblants. Mais, cela ne doit jamais empêcher de profiter, du moment présent. C’est passer directement, à côté, du principe fondamental. Car, au moment où, la conscience-en-soi, et pour-soi, est aiguisée, c’est avant tout, savoir s’en servir pour soi-même, et non pas pour l’utiliser, dans le sens négatif… Bien au contraire! Même, au Bangladesh ou en Afghanistan, les gens trouvent le temps, de festoyer, (de temps à autre), et les enfants réussissent, tant bien que mal à s’amuser! Alors, pourquoi pas nous?