Complètement Martel

Bravoure ou inconscience

Je suis comme d'autres. Je rêve parfois d'aventures. De folles enclaves dans le plateau de la routine. D'injections d'adrénaline en concentré. De nuits sans sommeil sous le rugissement sourd des bombardements, question d'être happé par l'énergie du combat. D'être sur le terrain au point d'en avoir plein la gueule.

Ma vision de la vie de reporter est, semble-t-il, un peu romantique. Ce doit être la faute à Hergé, j'ai pratiquement appris à lire avec Tintin.

Or, il y a des bourbiers dans lesquels je ne voudrais pas VÉRITABLEMENT mettre les pieds.

Certaines gens ont choisi de risquer leur vie. Grand bien leur fasse. C'est bien beau l'adrénaline, mais je ne risquerais pas la mienne pour un papier.

Par un pur hasard, j'ai eu une brève discussion avec un digne représentant de l'armée canadienne, il y a quelques semaines. C'était bien avant la mort du jeune soldat de l'escouade tactique, Simon Longtin, dont la flamme a été soufflée par l'explosion d'une bombe artisanale la semaine dernière. C'était même avant le départ des troupes du 22e Régiment de Valcartier pour l'Afghanistan – et avant que Radio-Can ne se mette à faire toutes sortes de "reportages" pour le moins étranges, frisant parfois la propagande.

Étant pacifiste dans l'âme – on ne se refait pas -, j'ai toujours eu un point de vue plutôt tranché sur l'armée. En fait, j'ai un peu de difficulté à comprendre comment on peut être sain d'esprit (cela dit avec respect) et tout de même avoir envie de tenir un fusil d'assaut C-7 ou un AK-47, en sachant que l'utilité de ces "outils" est de tuer.

Le type devant moi était tout à fait articulé et n'avait rien d'un zombie soumis à un incessant lavage de cerveau – comme on peut, d'un point de vue totalement extérieur, imaginer le parfait petit soldat. Au moment de notre discussion, il avait au creux des bras une fillette d'environ 18 mois, sa fille, qui gazouillait. Le mince filet de ses aveux ne tarissait que le temps qu'il lui susurre quelques mots doux à l'oreille.

Sous couvert d'anonymat, mon interlocuteur a levé pour moi le voile sur la mascarade du discours militaire. Selon lui, la fierté, le goût de l'aventure, le désir de changer le monde et tous ces élans passionnels qui semblent littéralement transporter les soldats dans les déserts lointains sont rarement fondés. Ce serait bien ce qui pousse à entrer dans l'armée (et la propagande de l'armée pour recruter de la chair fraîche n'y serait pas étrangère), mais ça pèserait beaucoup moins lourd lorsque vient le temps de s'embarquer pour l'Afghanistan. Ce qui n'empêche pas tous les soldats interviewés de servir le même laïus aux médias qui les interpellent.

Sont-ils brainwashés? Les contraint-on au silence? Selon lui, même si on cherche parfois à nier son existence, il y a indéniablement une loi du silence dans les forces armées. Ça ne signifierait pas que quelqu'un donne l'ordre de se taire. Seulement que chacun sait, presque par instinct, ce qui peut être dit, et ce qui ne doit pas l'être. C'est comme ça et c'est tout.

En fait, la situation est la même dans plusieurs milieux. Si on demande à un enseignant pourquoi il fait ce boulot, il répondra qu'il aime les enfants, qu'il a l'impression de contribuer à changer le monde, qu'il aime voir l'étincelle de la compréhension dans l'oeil du jeune esprit… Et omettra de dire que ça le fait suer de se taper la planification et la correction la fin de semaine, que le vendredi soir il n'arrive même pas à écouter un film sans s'endormir sur le divan, et pire, qu'il arrive, parfois, que ses élèves le déçoivent… Il y a des choses qui peuvent être dites, d'autres qui ne doivent pas l'être. C'est comme ça et c'est tout.

C'est le sceau de cette loi du silence que brise Martin Petit dans le livre Quand les cons sont braves, publié chez VLB éditeur, et dont le lancement aura lieu le 28 août prochain. Dans un style très personnel, sans pompe ni enflure, celui qui a été fantassin au sein des troupes de combat pendant 14 ans – et qui aujourd'hui subit les contrecoups de ses douloureuses expériences – raconte son parcours dans l'armée canadienne, donnant force détails à propos de son vécu lors de plusieurs conflits (Qatar en 1990-91, Croatie en 1992, Somalie en 1992-93, Krajina en 1995 et Bosnie en 2002).

C'est le genre de bouquin qu'on lit avec horreur, campant l'être humain dans un rôle de bête sanguinaire qui lui sied affreusement bien. On comprend mieux comment l'auteur en est venu à souffrir du syndrome de stress post-traumatique à mesure qu'il raconte comment les pires atrocités ne sont pas toujours le fait du camp adverse.

Et c'était à l'époque où l'armée se présentait comme une force de paix. Avant qu'elle ne passe à l'offensive dans un pays comme l'Afghanistan.

C'est en tout cas une lecture qui sait taire les désirs d'aventures d'un chroniqueur culturel qui se sent soudainement plus pantouflard.