Dans une chronique précédente, j'avais déjà abordé le sujet de la mémoire des lieux. De cette façon dont un édifice ou un paysage retiennent des pans de l'histoire.
Les salles de spectacle, chargées de tous les univers qui s'y sont déployés, n'échappent pas au fer de la mémoire, à cette marque indélébile. Elles peuvent garder longtemps les stigmates de cette forte impression qu'auront laissée un concert, une chorégraphie, ou quelques actes enchaînés.
Voilà qu'une salle, l'Opéra, nouvelle vierge de la scène culturelle régionale, ouvrira ses portes. Avec un peu de retard, certes – une vingtaine de jours aux dernières nouvelles -, mais on ne s'en offusquera pas. Sade aurait sans doute argué que les plus délicieuses pucelles savent se faire désirer, repoussant les avances de leurs prétendants, le sourire aux lèvres et le corps frémissant. Ainsi le concert de DJ Champion, qui devait lancer la saison, se voit différé, ce qui permettra à "de jeunes artistes de la région" de fouler en tout premier lieu la nef de ce temple immaculé. C'est un mal pour un bien, pourrait-on dire, puisque comme le mentionne notre collaborateur Joël Martel dans son article faisant un survol des spectacles à venir dans la région, aucun artiste de notre relève n'avait jusque-là trouvé sa place dans la programmation officielle de l'Opéra.
Le prétexte était excellent. L'ouverture d'une salle de spectacle, comme celle de l'Opéra – cabaret urbain qui, même retardée, est imminente, c'est nécessairement un événement. Ça augure bien pour la vie culturelle régionale. Alors la radio de Radio-Canada m'a invité à une table ronde, diffusée samedi dernier dans le cadre de l'émission Beau temps, mauvais temps, autour de laquelle prenaient aussi place Lucien Frenette, directeur du Conseil régional de la culture (CRC), ainsi que Daniel Côté, journaliste pour Le Quotidien et Le Progrès-Dimanche. Tous trois préoccupés par une vie culturelle parfois chancelante, qui paie trop souvent ses succès de quelque recul, nous n'avons pu que convenir que l'Opéra contribuerait à la diversification de l'offre régionale en permettant la diffusion de certains artistes parfois méconnus du public saguenéen et qui pourtant méritent notre attention. Cette offre soudainement plus variée pourrait favoriser, au même titre que la programmation du Côté-Cour – qui fait d'ailleurs en cela un excellent boulot -, l'apparition de nouvelles têtes dans notre paysage musical.
On la voyait venir depuis longtemps, avec son déhanchement aguicheur, la vierge de la rue Racine. On cherchait à savoir quand elle s'offrirait enfin aux spectateurs, pleine de promesses. À moi on avait dit qu'elle se laisserait prendre par la relève musicale. Quand je vois aujourd'hui qu'elle ouvrira toute grande son étreinte à des Dan Bigras, Plume Latraverse, Luc De Larochellière, Yves Lambert, Daniel Boucher et autres Respectables… Force est d'admettre qu'elle n'en a pas que pour les jeunes loups de la chanson, et que son coeur penche aussi du côté des hommes d'expérience…
Peut-on vraiment en faire le reproche? Probablement pas. Mes interlocuteurs avaient raison de mentionner que de tels artistes apporteront beaucoup de crédibilité à la salle, et que la diversification de l'offre culturelle est de toute façon louable. Car si certaines salles offraient déjà des moments privilégiés avec des artistes émergents ailleurs dans la région, l'arrondissement de Chicoutimi était relativement en déficit sur ce plan – en omettant de parler, peut-être, du Café Cambio qui a parfois réussi à surprendre par son audace; je me souviens encore du spectacle de Caniche Hara-Kiri…
Alors enfin, les nouvelles semblent bonnes. Les chiffres se bousculent dans les colonnes des journaux. Au moins 20 spectacles de plus diffusés par le Théâtre du Saguenay cette année – une augmentation de 40 %. À cela s'ajoutent les autres succès de la scène régionale. Les 50 000 spectateurs de La Nouvelle Fabuleuse. Dix pour cent plus de spectateurs pour Ecce Mundo. Dix mille têtes au show de CCR, 8 500 à celui plus récent de Scorpions.
Alors on se met à parler de vitalité de la culture et on se flatte d'avoir dans la région une vie culturelle tellement en santé. Pourtant, la reviviscence des spectres du vieux rock – les CCR, Scorpions, Dennis DeYoung et autres fantômes d'une époque dont on étire encore les franges – n'a rien à voir avec la vitalité de notre culture.
Bon, qu'est-ce qu'il nous sortira, encore, c'lui-là?
Notre vitalité culturelle ne se mesure ni en assistance, ni en retombées économiques (quoi que semblent en penser les grands organisateurs et les journalistes qui traînent leurs savates dans leur foulée), ni même en nombre de spectacles présentés. Évidemment, il est facile de s'en contenter quand les nouvelles sont bonnes. Quand les grands spectacles se vantent d'avoir eu droit à une année record. Mais tout ça, ce sont des indices qui montrent que l'INDUSTRIE de la culture est performante dans la région. Pas la culture elle-même.
Ce sont plutôt la qualité et l'unicité de l'offre culturelle qui doivent être prises en compte si on veut véritablement parler de vitalité.
Nous contentons-nous de grappiller du fretin culturel métropolitain? Attirons-nous autre chose que des machines à fric bien huilées? Si la culture d'ici a exactement la même couleur que celle des autres régions du Québec, c'est qu'elle est déjà sur le respirateur artificiel. Le nombre de billets vendus et le nombre de spectacles n'y changeront rien. Il faut cesser d'espérer la même chose que les autres. Il faut exiger plus.
En diminuant les frais de diffusion de spectacles grâce à une nouvelle salle plus intime, peut-être le Théâtre du Saguenay osera-t-il présenter des spectacles un peu plus casse-cou. De véritables découvertes. De la vraie relève, pas des artistes qui émergent déjà ailleurs et qui daignent enfin venir mettre les pieds chez nous. Des artistes, peut-être, qui ne vont nulle part ailleurs. Pas encore. Mais qui promettent de s'y rendre. Voilà ce que j'attendais de la vierge de la rue Racine. Pour lors, elle est encore trop farouche pour me montrer ses plus belles surprises. Mais je les rêve encore.
Il existe, je pense, un compromis entre le désir d’attirer un large public ($$) et celui de diffuser la relève. Il suffit de donner la première partie de spectacles très attendus à des artistes émergents. Ce n’est pas nouveau comme principe, et sans doute assez efficace pour faire connaître. C’est la même chose pour le cinéma… un court métrage présenté avant un long et bon film, ça met en appétit et ça le fait voir par plus de monde.
Il est en effet très agréable et encourageant de voir que la culture prend de plus en plus de place. Les jeunes découvrent qu’il y a autre chose que les jeux vidéo, Internet et la télévision, il y a le direct, le privé. Vivre un moment unique où un ou plusieurs artistes communiquent leurs passions, leurs paroles, leurs pensées et même leurs émotions. Ça, c’est extraordinaire. Je crois que l’Opéra contribuera à sa manière, à agrandir ce mouvement qui, à petits pas, se dirige vers la culture.