La salle de l’Auditorium Dufour est pleine à craquer. À moins que ce ne soient les sièges qui se plaignent. La soirée Music-hall 07! était attendue par beaucoup de monde. «La plus grande revue culturelle de l’année jamais produite au Saguenay!» vantait-on sur toutes les tribunes à qui voulait bien l’entendre.
Après les avertissements d’usage – veuillez éteindre vos cellulaires et vérifier où sont les sorties de secours avant de lire cette chronique -, le show commence enfin dans un tonnerre d’applaudissements.
La première partie du spectacle est commanditée par Alcan (on avait scotché Rio Tinto sur l’affiche mais un plaisantin s’est amusé à l’arracher; on a retrouvé le bout de papier plus tard près d’un urinoir).
Question d’en mettre plein la vue, on a misé sur les effets spéciaux. Malheureusement, le public n’a pas pu tout apprécier. On n’aura vu que les boues rouges reproduites à grande eau à l’avant-scène. Derrière ce rideau écarlate, les grands patrons d’Alcan faisaient la danse de leur vie. Triste qu’on ait manqué ça.
Puis les numéros se succèdent avec régularité. Pendant que la gang de l’Impro musicale crée une atmosphère inoubliable, Sébastien Pilote traverse la scène en jonglant avec les prix qu’il a reçus pour Dust Bowl Ha! Ha!. On se demande comment il fait.
Il est suivi d’Isabelle Tremblay qui chante Il ne danse pas le rock, les pieds au vent, portée par les ailes de la bourse Objectif Scène. On ne voit pas les fils. Est-ce un jeu de poulies?
Ensuite arrive sur scène un homme plutôt petit, sautillant – il a les pieds et poings liés, et il est bâillonné. On chuchote dans la salle. Qui peut-il bien être? Quelqu’un a la bonne idée de regarder dans le programme de la soirée. C’est ce type, Bruno Gareau, dont les ouvres ont été censurées à Espace Virtuel. Aucune réaction du public. Les Clowns Noirs viennent l’aider à sortir, Trac faisant le guet avec une brosse à dents (on lui a confisqué son bâton de baseball pour qu’il n’effraie pas la population).
On passe à un autre numéro. Une balloune immense traverse l’espace scénique, flottant doucement, gigantesque, voire Fabuleuse. Lorsqu’elle éclate enfin au grand jour, ça fait du bruit, c’est certain. Le public est mystifié, malgré un sentiment de déjà vu. Comme ce n’est pas la première fois qu’on présente ce numéro, d’immenses flèches de néon rouges se mettent alors à clignoter pour aider les incrédules: il y a eu des changements ici, ici et là. On est content.
Et voilà qu’entre en scène un clown un peu déglingué. Sous cet attirail déluré se cache le maire Jean Tremblay. De toute évidence, il est là un peu contre son gré. Littéralement propulsé sur les planches par un coup de pied au derrière (l’immense botte bleue était commanditée par le Parti conservateur du Canada), les bras battant l’air amplement, il a le bonnet de travers, comme si on le lui avait enfoncé de force, et son nez de clown décolle un peu plus à chaque respiration. On entend rire Jean-René Dufort en coulisse: il fait le décompte des courriels qu’il a reçus.
Le public se demande ce que le maire fait là.
Le maire se demande ce qu’il fait là.
Alors il précipite son signe de croix et sort un document du fond de sa poche – une brique signée Ville de Saguenay sur laquelle on voit encore le prix: 10 000 $! Et il commence à lire.
Zut. Son microphone est coupé. Il quitte la scène sans plus attendre, pas fâché de pouvoir se défiler. Il n’a jamais voulu être une vedette. (Quand il reviendra sur la scène, il aura troqué bonnet et nez de clown pour un sceptre royal bien empoigné.)
Dans la salle, le collectif Le Citoyen d’abord se met à faire du chahut. On aurait bien voulu l’entendre. Le prochain film de Pierre Demers s’intitulera Nous sommes tous restés sans voix. Il fera un vox pop à la fin du show où il exigera de ses interviewés qu’ils ne répondent pas à ses questions.
Le prochain numéro en surprend plus d’un. C’est Robert Hakim, portant culotte courte et casquette à l’effigie du Théâtre du Saguenay, qui trottine sur la scène culturelle en riant comme un enfant qui viendrait de recevoir une sucette. Derrière lui, soudée à la paume de sa main, l’une de ces voiturettes pour enfant – vous savez, ces «express» qu’on a tous tenté d’attacher derrière nos vélos, au grand dam de nos mères. Il y transporte une maquette de ce qui est devenu sa superbe, sa rêvée, sa désirée. Son Opéra.
Le public applaudit à tout rompre.
Mais ce n’est pas fini. Derrière la première voiturette en roule une autre. Celle-là contient les plans de. Oh! ce sont les plans pour la rénovation de l’Auditorium Dufour!
Au même moment, quelqu’un dans la salle s’effondre. Il avait l’un de ces sièges défectueux et incertains sur lesquels chacun espère ne jamais s’asseoir. L’effet étant plutôt réussi (est-ce que c’était arrangé?), la salle croule sous les rires et les applaudissements fournis. On en redemande. Le petit Hakim fait une révérence, bien content d’avoir suscité autant de réactions.
Quel fouillis, ce spectacle. Un vrai freak show. Et il faut que je critique ça? Bof, faisons ça court.
Bye bye, 2007. Tu m’auras fait bien rire.