Complètement Martel

Change pour change

Pas de changement sous le soleil glacé de la nouvelle année. À moins que vous ayez quelque chose à m’annoncer, il n’y a rien de plus certain que la continuité entre hier et demain. C’est ce que je me serai dit, le soir où tout a basculé, du soir au matin, de décembre à janvier, de 2007 à 2008.

Chaque année c’est la même chose. Une interminable nuit qui semble moulée sur celle de l’année précédente, qui s’étire en suivant le tempo des minutes qui passent, des secondes lentement abattues, comme toutes ces cartes à jouer qui ont glissé sur la table pendant la journée.

Chaque année c’est la même chose. Je livre mon esprit et mon humeur en pâture à ces tergiversations diverses qui ruinent à coup sûr même les plus belles soirées. Je tente d’étancher le vide en bâillant, ou en prenant une autre gorgée.

À quoi je pense? À tout et à rien. Aux retrouvailles des derniers jours. À toutes ces histoires. Celles qui font sourire. Celles qui minent à tout coup la bonne humeur. Ces anecdotes à raconter, et à répéter, inlassablement. Et celles des autres qu’on ingurgite comme autant de petits fours, jusqu’à satiété, puis jusqu’à la nausée.

Et avec elles, toutes ces émotions qui provoquent la pire fatigue qui soit, de l’esprit et du corps. Une fatigue qui naît de l’amour qu’on porte aux êtres qui nous sont chers, qui nous allument de leurs bonheurs et nous brûlent de leurs malheurs.

C’est inévitable, je me serai retrouvé avachi dans un fauteuil, et j’aurai attendu. Dans l’expectative d’un événement qui ne sera jamais survenu. D’un événement vide, voué à n’être rien au fond. Qu’une nuit de plus. À laquelle on accorde trop d’importance.

J’aurai défoncé l’année assis dans un sofa pareil à celui qui me supporte à longueur d’année – pour faire changement. Les yeux rivés au téléviseur éteint. Quand je n’aurai pas eu le regard fou, courant les secondes avec la trotteuse de l’horloge, sautillant nerveusement d’un visage à l’autre en appréhendant minuit avec une irrépressible crainte. Et cette fatigue, toujours, qui m’aura enfoncé encore plus dans les coussins du divan.

J’aime bien l’ivresse, mais je ne suis pas un noceur. Alors comme c’en est devenu une habitude, une main dans le plat de chips, l’autre au goulot d’une bière de trop, j’aurai eu hâte d’aller me coucher.

Autour de moi, après le décompte fatidique, quelques représentants de mon noyau familial se seront levés en chour et avec bonne humeur. Des gens que j’aime. À qui je n’aurai pas su dire les mots justes. Je veux dire, de véritables souhaits. Ceux qu’ils méritent pour vrai.

J’aurai baragouiné quelques formules convenues. Amour. Santé. Argent. Pour les plus jeunes, du succès dans leurs études. Un p’tit chum pour la cousine. Juste pour la faire rougir. Parce que c’est un peu mon rôle.

Mais avant tout ça, j’aurai eu amplement le temps de me demander pourquoi. Pourquoi attendre à minuit. Pourquoi attendre la veille du jour de l’An, la dernière minute. Et j’aurai pris, encore cette année, la ferme résolution de dire aux gens que j’aime à quel point ils sont importants pour moi, sans attendre le temps des Fêtes de l’année suivante, sans attendre le coup de minuit.

Parce qu’au fond ce n’est rien, le jour de l’An. Qu’une journée de plus au calendrier. Une journée déjà usagée, commencée plus tôt ailleurs dans le monde. On change un chiffre. Rien de plus. Ce n’est même pas un seuil à traverser. Que du vide qu’on se donne l’impression de combler.

Il ne faudrait pas croire que le changement me répugne. J’aime les vrais changements. De ceux qui font entrer un enfant dans notre routine – ses cris, ses pleurs et ses sourires ravageurs. J’aime que la vie nous foute 30 centimètres de neige sur la tête (et dans les tibias), qu’elle nous oblige à être débrouillards, à repenser nos plans trop bien organisés. J’aime le changement.

Mais changer d’année, ça ne veut rien dire. Sinon que pendant quelques semaines il ne se passera rien en ville. Et que la publicité va réussir à faire en sorte que tout le monde se sente coupable pour ce qui a été mangé dans les dernières semaines. Et que les journalistes, probablement parce que justement il ne se passera rien en ville, vont revenir avec les profits des centres de conditionnement physique et le manque de volonté de ceux qui s’y inscrivent. On n’y échappera pas. La question n’est pas de savoir si ça arrivera, mais plutôt de savoir qui le fera en premier.

Alors une nouvelle année? Change pour change, on n’y gagne pas grand-chose. Parce que plus ça change, plus c’est pareil. C’est la sagesse populaire qui le dit.