Vous pensiez que le pétrole menait le monde? Il existe une valeur dont l’étalon n’est pas monétaire et qui pourtant vaut tout l’or noir de l’univers. Cette denrée précieuse, soumise à toutes les inflations, c’est l’information.
À notre époque, la parole est d’argent bien plus que le silence n’est d’or. Quiconque trouve ses sources miraculeuses les jalouse, tout comme jadis les chercheurs de pépites qui ont envahi le Klondike. L’information VAUT cher, COÛTE cher; elle se transige à un taux exorbitant, bien au-delà de toutes les transactions courantes.
C’est dans cet impitoyable marché de l’info qu’évoluent les journalistes. Et je ne parle pas des dossiers chauds et percutants couverts par les grands médias nationaux. Rien à voir avec la sécurité nationale, le terrorisme ou la guerre.
Je parle de ce qui se passe ici, dans notre petite patrie de rivières, d’épinettes et d’hiver.
Je parle de la culture, comme d’habitude, comme d’une vierge effarouchée qui veut tout de même montrer la cuisse. Elle me susurre à l’oreille:
«J’ai entendu entre les branches.»
Comme un bruissement inquiet, les secrets les mieux gardés se font connaître bien avant le temps, comme s’ils étaient déchirés par les pôles irréconciliables d’une pulsion exhibitionniste et d’une morale puritaine. L’information se révèle, et juste après, s’excuse:
«Chut, je suis encore un secret. Garde-moi toute pour toi. Quand je serai prête, tu pourras me montrer au grand jour. D’ici là, sois patient, attends-moi, je saurai te remercier.»
Et elle va, de prétendant en prétendant, promettant le miel et le lait.
J’ai parfois l’impression que chez nous, c’est la rumeur qui doit avoir préséance sur tous les organes d’information. Nous ne sommes pas loin du grand village, avec son clocher fier et ses racontars de parvis d’église. Ces patelins où les journaux ne servent qu’à certifier ou éclairer ce que les gens savent déjà, par intuition ou par contact privilégié.
Panique au village. Il y a de petites mafias qui ont pris le contrôle de l’information culturelle. De quoi donner de l’inspiration aux Clowns Noirs pour leur prochaine trilogie.
C’est rendu que je n’ose plus qu’à peine m’enquérir des nouvelles des artistes que je croise dans la rue ou dans quelque événement artistique. Pour ne pas voir le malaise de celui qui a envie de parler d’un projet qui lui tient à cour, mais qui doit se fermer la gueule. Personne ne lui a dit de le faire. Mais il a l’impression que s’il en dit trop. quelque chose pourrait se produire. On ne sait pas quoi. Les pires peurs ne sont jamais intelligibles, bien définies.
Et voilà que je me soumets à cette omerta, règle d’or de la gente culturelle, 11e commandement de la sainte Bible: tu ne parleras point. J’accepte les conditions qu’on m’impose, garde le silence le temps qu’il faudra, parce que sans doute y a-t-il une bonne raison pour le faire, sans doute est-ce préférable ainsi.
À qui sert cette omerta? Aux organismes culturels? Je ne crois pas. Aux journalistes? Non plus. Les premiers ont créé une dépendance chez les seconds qui, las de devoir se battre comme des forcenés contre des moulins à vent, ont fini par attendre de voir quelle farine leur livreraient ces meuneries. Et de cette poudreuse mixture insipide, ils font leur pain quotidien. NOUS faisons notre pain quotidien.
Je me revois, jeune et fringant, à ma première conférence de presse. Il y a un type au milieu de la place (moi) qui a l’air échoué sur sa chaise. Son calepin est tout écréanché, ses pages sont abîmées et roulées. Son crayon dort encore dans sa poche. Son enregistreuse numérique servira de toute façon de témoin. Si toutefois il y a de quoi témoigner.
Ses bottes suintent la glace et le sel dont il n’a pu se débarrasser à l’entrée. Il est préoccupé par l’idée de laisser sa trace au plancher et jette un coup d’oil alentour pour se rassurer de ne pas être le seul à salir la moquette.
Il y a les vrais journalistes autour de lui. Ceux de la vieille école. Qui ont l’expérience. Leur stylo grafigne le papier à une vitesse incroyable. On croirait des sténographes. L’un d’eux lève la main et demande des chiffres. On veut que ça se calcule. Quel sera le budget alloué? Combien de retombées économiques? Ça prend combien de zéros? Où je mets la virgule? Les kodaks flashent à qui mieux mieux. On attend LA phrase, la tournure amusante – qu’est-ce qu’on s’ennuie quand le maire est absent ou qu’il est trop sérieux.
Les pires conférences de presse sont les plus protocolaires. Ces univers gluants de bonnes manières.
Avec le temps, à la rencontre du milieu culturel, j’ai fini par passer du côté des muselés, je crois bien.
Finalement, je prendrai peut-être une résolution, cette année. Celle de ne plus garder pour moi ces secrets que je découvrirai. Parce que ça ne m’a jamais payé d’attendre le feu vert.
Et parce que je n’aime pas ces décors de papier mâché qu’on ne peut pas toucher.
Wow! Drôle de flashback de lundi passé! C’est vrai que des fois, on se sent tourmenté quand quelqu’un nous parle d’un de leurs projets à venir… J’en parle ou pas…
Et après tout, y a rien que les producteurs de cinéma qui mettent des embargos sur leurs trucs.
Il n’y a de véritable omertà que celui (ou celle?) qu’on s’impose… Qu’advient-il de cette (judiciaire!) maxime: tout ce que vous dites pourra être retenu contre vous?