Complètement Martel

Si cela existe

Un peu d’authenticité, si cela existe.

J’ai médité sur cette phrase pendant plusieurs heures en me demandant où elle me mènerait. Si j’osais la suivre.

C’est que dans les semaines et les mois passés, j’ai appris toutes sortes de choses pourtant banales sur la vie. Comme la nuance qui existe entre la pitié et l’empathie. Un abîme qui ne se définit pas dans un dictionnaire.

Je viens de vivre une courte retraite, plus forcée que dorée. Enfermé entre quatre murs, avec une fenêtre qui donnait sur un stationnement et sur le mur d’un autre immeuble, criblé lui-même de fenêtres ouvertes sur des pièces fermées. J’étais à mille lieues de chez moi, de la télé, de l’Internet. Donc loin du fracas de la dégringolade boursière, des sparages de Marc Labrèche, des déboires de TQS et de l’effondrement de Quebecor World. Trop loin aussi pour assister à la nouvelle production de la Rubrique ou pour me fondre parmi les amateurs d’art au vernissage de Noémie Payant-Hébert à Séquence.
En fait, en méditant sur cette phrase qui a engendré ma chronique, j’ai pris conscience que ça fait longtemps, trop longtemps que je suis loin. Réfugié dans l’espoir et dans l’amour le plus tendre qui soit.

Depuis mes débuts dans le merveilleux monde de la rédaction, il faut l’admettre, j’avais eu tendance à baiser littéralement (et passionnément) mon boulot, avant même de voir à embrasser mon amoureuse – qui est heureusement d’une patience remarquable avec le pauvre type que je suis. Puis, quelque part pendant l’été, la vie m’a servi un véritable uppercut, de quoi sonner même les plus lucides.

Je suis le père d’un enfant malade. Voilà pour l’authenticité. Je n’irai pas plus loin dans ce sens. Mais soudainement, la lucidité change de niveau, vous l’aurez compris. L’art, loin en haut dans la pyramide des besoins de Maslow, devient alors un produit culturel brut, une information à traiter, un matériau. Même avec beaucoup de volonté, et même avec un fond de passion pratiquement inébranlable, l’envie de sortir dans la rue pour manifester mon désarroi devant les piètres conditions de vie des artistes, ou le désir même de me séparer de la cellule familiale pour assister à un spectacle, pour visionner un film ou pour voir une exposition, deviennent difficiles à stimuler.

Tout ce qui compte alors, c’est de sentir sa chair contre la mienne. Ses petits doigts chatouiller la barbe de mon visage à l’abandon. Et de l’entendre rire aux éclats de cette sensation étrange.

Toute cette situation a bien sûr fouetté mon rapport à la vie. Donc mon rapport à l’art, ça va de soi. Je vous rassure, je ne deviendrai pas fleur bleue – bien peu pour moi – et je ne cherche pas à susciter la catharsis. J’espère que vous n’aurez pas le front de verser une larme sur ces lignes. Parce que j’aurais manqué mon coup.

Tous ces jours passés à l’hôpital avec mon plus jeune m’ont fait découvrir ce que c’est, l’authenticité – si toutefois elle existe, comme le dit mon mantra.

Premier constat: les enfants malades ne s’amusent pas «quand même». Ils s’amusent.

Deuxième constat: les parents d’enfants malades ne sourient pas «malgré tout». Ils sourient.

Après m’être effacé dans une marée de sudokus et de mots mystères, après avoir épluché une pile de revues – Esse, C.V., Urbania, Lettres québécoises, à peu près tout ce qu’il y a de potable au Québec y est passé -, je me suis mis à repenser à l’équipe de SOS Clown.

L’idée de Josée Gagnon m’avait semblé quelque chose de louable, voire un beau projet, à l’origine. Mais c’était plus que ça. C’était visionnaire.

Le 23 janvier, les clowns thérapeutiques de SOS Clown ont célébré leur premier anniversaire, à la Voie Maltée, lançant du même coup leur nouveau site Internet (www.sosclown.com). Photo: Boran Richard.Le 23 janvier, les clowns thérapeutiques de SOS Clown ont célébré leur premier anniversaire, à la Voie Maltée, lançant du même coup leur nouveau site Internet (www.sosclown.com). Aujourd’hui, l’équipe comprend six comédiens professionnels engagés socialement: Sara Moisan (Dr Q-Tip), Pierre Tremblay (Dr Chabidou Wa), Moïra Sheffer-Pineault (Dr Go!), Josée Laporte (Dr Douz’Grains), Jonathan Boies (Dr Monde Entier) et bien sûr Josée Gagnon (Dr Lily-Fleur Depeau).

Leur travail n’a rien à voir avec celui des bénévoles qui grouillent dans certains centres hospitaliers, tenant plus souvent qu’autrement des propos noyés dans une sauce ésotérique exaspérante. Rien à voir non plus avec les clowneries grotesques des amuseurs publics qui prennent d’assaut les chambres des malades en cherchant à tout prix à les occuper ou à leur remplir la tête avec des galipettes et des grimaces vides de sens et vite oubliées.

Inspirés du Rire Médecin de Paris et du Clown Care Unit de New York, ils ont pour ultime mission de redonner confiance au malade – ou à son entourage – et de permettre à tout ce beau monde de sentir qu’il a un pouvoir sur lui-même et sur sa vie. Ce qui ne passe pas seulement par le rire, mais aussi par la présence, par le silence, voire par la colère.

C’est en pensant à eux – il faut croire qu’ils ont réussi leur boulot même à distance – que j’ai enfin compris la nuance entre la pitié et l’empathie. Et c’était quelque part dans les mêmes environs que se trouvait l’authenticité.

Si cela existe.