Le vent soufflait entre les édifices. J'ai baissé les yeux pour éviter les cristaux qu'il avait soulevés. Au pied d'un mur de briques, pris dans la glace, un journal s'effeuillait jusqu'à m'exhiber sa une. C'était une banale histoire d'accident. La carcasse fumante d'un véhicule. Une botte d'enfant traînant sur la route enneigée.
C'est la première fois que j'ai eu la nausée en jetant les yeux sur un journal. J'avais conscience que quelque chose n'allait pas.
Je ne me souviens pas quand ça s'est produit, mais je devais avoir à peu près le même âge que ces étudiants qui m'ont écrit récemment, pour requérir un peu de mon temps. Une collaboration toute simple: quelques minutes dans un studio du Collège de Jonquière pour jouer le jeu d'une émission télé. L'intervieweur devait devenir interviewé.
Par courtoisie, on m'avait fait parvenir les sujets qui seraient soulevés pendant l'entrevue. Lorsque j'ai lu ce plan de match, c'est cette image de fond de ruelle glacée et de gazette froissée qui m'est revenue en tête – avec ce haut-le-cour caractéristique des mauvais jours de presse.
Objectivité dans le traitement de l'information. Sensationnalisme dans la presse. Tout y était.
J'avoue avoir été troublé par l'invitation. Je ne me considère pas, à proprement parler, comme un journaliste. Je n'en ai ni la formation, ni la prétention, ni même l'ambition – ou si peu. Mais voilà, c'est un point de vue qu'on cherchait. Ça, je sais donner. Je me suis d'ailleurs trouvé un peu trop bavard. C'est qu'une fois lancé, difficile de m'arrêter.
Le problème des excès médiatiques vient du fait que les gens n'ont absolument plus le désir d'être simplement informés. Plus souvent qu'autrement, celui qui ouvre le journal le fait pour se divertir. Si la presse ne répondait pas à cette attente, les tirages seraient dérisoires.
Au comptoir d'une pharmacie cette semaine, une femme s'inquiétait de ne pas avoir trouvé SON Photo-Police. Il aurait pourtant déjà dû être placé sur l'étalage. Elle ne pouvait pas souffrir une journée sans l'avoir sous la main. Son bonheur dépendait du mot croisé qui s'y cachait. Peut-être lirait-elle aussi quelques articles.
Ça me fait penser à cette blague qui circulait quand j'étais adolescent. Vous savez, celui qui achète un Playboy et qui dit qu'il le fait pour "lire les articles". Aujourd'hui, ce gag ne signifie plus rien. On achète des publications d'abord pour les photos. C'est devenu gênant de vouloir s'informer.
Pour s'accommoder de la situation, les médias d'information ont laissé de plus en plus de place au divertissement, multipliant les billets d'humeur, les jeux, les caricatures et tout le tralala. De belles grosses photos couleur, aussi. Parce que le sang, en noir et blanc, vous savez… Conséquence ? Dorénavant, la responsabilité de départager l'information du divertissement n'appartient plus aux médias mais aux lecteurs.
En fait, c'est la notion même d'information qui ne tient plus la route. Elle a cédé le pas à une "matière" de socialisation. On ne veut pas apprendre ce qui se passe au Kosovo, les déchirements politiques que provoque sa déclaration d'indépendance, les enjeux qui l'ont poussé à le faire, les raisons qui rendent la Russie tellement frileuse à l'idée de ce spasme de souveraineté.
On veut plutôt se trouver un hameçon social. Apprendre quelque chose de pas trop compliqué qu'on pourra répéter au voisin, au chauffeur de taxi, à la caissière de l'épicerie, à ce vieil ami qu'on pourrait rencontrer au hasard de quelque pérégrination dans les allées du Wal-Mart.
"Il y a eu un accident dans le Parc. Un autre."
Parce qu'on est tellement rendus loin les uns des autres qu'il est primordial de se trouver quelque chose à se dire. Autrement, on pourrait être embêtés, muselés par un silence épais. Et ça, on n'aime pas.
Depuis que les médias se sont délestés de la plus grande part de leurs responsabilités, le problème du sensationnalisme ne leur appartient même plus. À mesure qu'apparaissait le sang sur la une des journaux, ces derniers pouvaient s'en laver les mains. C'était justifié par le tirage.
Ce sont les "consommateurs" d'information qui sont dorénavant les seuls responsables des défauts dans le traitement de la nouvelle. Parce qu'on vit dans une société de cotes d'écoute et de tirages. Les lecteurs ont l'imputabilité de ce qu'ils lisent dans les journaux. Parce que chaque fois qu'ils achètent une publication, ils endossent ses méthodes, ses choix éditoriaux, son traitement de l'information.
Est-ce que je tends ma propre corde au bourreau en affirmant dans cette chronique qu'il y a trop de billets d'humeur dans les médias d'information? Ceux qui le croiront n'auront rien compris. Voir n'est pas un média d'information mais un organe culturel. Un outil pour le développement d'une communauté d'amateurs d'art et de culture. Un pont entre les artistes et le public, qui permet enfin une relation à double sens entre des solitudes qui méritent un rapprochement. Évidemment, ça n'empêche pas de laisser l'information prendre du terrain sur le divertissement…
J’ai plutôt le coeur dur avec la presse écrite, car chaque jour elle réinvente le fait divers en ne tenant aucunement compte des dommages potentiels. Ce n’est pas parce qu’une information devient publique ou parce qu’elle sort au plumitif, qu’un journaliste a le «devoir rigoureux» de la publier. Le fait divers n’existe pas, il est une composante économique posthume des médias d’information On nous sert des mots clé, on nous sert des formules policières pré-fabriqueés, on nous sert du soi-disant scandale ne contribuant qu’à alimenter les conversations de garages et quand il y a un sujet sérieux, il s’agit un publi-reportage où d’une chronique horticole de l’Halloween.
Nous nous laissons berner par ce que nous avons envie de lire? Non, je ne crois pas. Je dirais que les médias se serviront toujours d’Éros et Thanatos pour que le fruit des abonnements, valide et entretienne la caisse de retraite…
Drôle comme parfois, peu importe les mots qui sont écrits, la lecture peut les travestir. Dans cette chronique née d’une fructueuse rencontre avec des étudiants en arts et lettres du collège de Jonquière, certaines personnes ont cru que je tentais de salir cette poignée d’étudiants… Procès d’intention s’il en est un. Le sujet, bien sûr, était plutôt celui qu’ils m’avaient suggéré: l’objectivité dans le traitement de l’information, le sensationalisme dans les médias.
Afin de rassurer tout un chacun, voici ce que je mentionnais sur mon blogue personnel à propos de cette charmante expérience auprès d’une poignée de jeunes passionnés:
Étrange de devenir l’interviewé, pour une fois. C’est ce que m’aura permis de vivre un groupe d’étudiants du cégep de Jonquière. Je me suis retrouvé sur le plateau de tournage d’une émission télé.
C’est une belle équipe de jeunes gens fort sympathiques qui m’a accueilli. Je dois dire que j’ai été impressionné par leur professionnalisme. Leur enthousiasme est communicatif.
Le sujet était l’importance de l’objectivité dans l’information, et le sensationalisme dans les médias.
Prudence. Imbu que je suis de moi-même – quand je ne suis pas tout simplement imbuvable – j’ai toujours aimé faire sensation. Je me suis d’ailleurs trouvé un peu trop bavard.
N’empêche, les sujets étaient pertinents. En tant que chroniqueur et rédacteur en chef du Voir Saguenay/Alma, je me suis senti sincèrement interpelé. Une réflexion qui vaut la peine d’être approfondie. J’y verrai.
Sur le plateau, je n’ai pas vu le temps passer. Merci à tous. C’était une belle expérience.