Complètement Martel

Les monologues croisés

Il y a ceux qui se parlent à eux-mêmes. Ceux qui parlent à tort et à travers. Ceux qui donnent l’impression de s’adresser à d’autres mais qui préfèrent s’écouter parler. Il y a les grands parleurs et les petits faiseurs. Plus souvent qu’autrement, le bouche à oreille se court-circuite, ne se répercutant en aucun écho.

C’est comme cet arbre qui tombe en pleine forêt, et qui n’est entendu de personne. Il est déraciné, et aucun ne s’en est aperçu.

Parfois, il ne suffit pas de dire les choses pour les changer. Le cirque médiatique de la Commission Bouchard-Taylor, proche des séances d’hystérie collective de 1984 (Orwell), nous a prouvé à maintes reprises à quel point les paroles pouvaient être vaines. Même dans ces espaces aménagés pour des rencontres, le dialogue s’étouffe souvent en multiples monologues qui fusent dans tous les sens, se croisant sans jamais se rejoindre.

Or, c’est le véritable dialogue qui importe. C’est ce que semble avoir compris l’Institut du Nouveau Monde (INM), organisme qui, dans le premier quart de l’année 2007, était l’instigateur d’une série d’événements dans 11 villes du Québec. L’INM parcourait ainsi la province pour tâter le pouls de ceux qui acceptaient de se poser la grande question de la culture. Ce Rendez-vous stratégique aura permis d’introduire des citoyens auprès d’experts, établissant les bases d’un dialogue entre le vécu des uns et le savoir des autres.

Ce n’est pas souvent que les intellectuels prennent un bain de foule. Juste pour ça, il valait la peine d’en parler.

Mille cinq cents participants. Plusieurs générations. Artistes. Étudiants. Chercheurs. Travailleurs du privé comme du public. Et retraités. Deux rendez-vous régionaux. Une grande rencontre nationale. Délibérations. Discussions. Débats. Suggestions. Projets. Rêves.

De cette expérience, on a tiré quelques constats, propositions et priorités, qui sont consignés dans le livre La Culture, notre avenir!, publié aux éditions Fides sous la direction d’Aude Lecointe et Céline Saint-Pierre.

La culture, comme l’identité, fait partie de ces concepts qui ont été les plus galvaudés. C’est devenu un beau baluchon dans lequel on fourre au gré du hasard tout ce qu’on trouve sur notre chemin. Au fond du sac, la tradition, les croyances, la langue, la religion, l’ancrage socio-historique, voire la politique. C’est ce qui fonde notre identité, les piliers de notre appartenance. Plus près de la gueule du baluchon, débordant parfois, la télé, le cinéma, la musique, le théâtre, la littérature, les arts. Ces outils culturels qui permettent d’agir sur le devenir de notre propre identité collective.

Le problème, c’est que plus on met de choses dans son baluchon, plus il est difficile de s’y retrouver.
Pour éviter ce piège, le comité directeur du Rendez-vous stratégique, coprésidé par Gérard Bouchard et Céline Saint-Pierre, a établi une définition de la culture qui demeure large, mais qui a le mérite d’être claire, clé du dialogue qui aura pu se construire au fil des rencontres proposées par l’INM.

Michel Venne, directeur général de l’Institut, n’est pas naïf. Il connaît les limites de l’exercice – étant indépendant, l’organisme «n’a pas le pouvoir de mettre en ouvre les recommandations» issues de ces différentes délibérations citoyennes. Son appel est toutefois univoque: «Il faut remettre de l’ordre dans notre pensée identitaire et réaffirmer l’importance de la culture pour toute société, mais encore davantage pour une petite nation minoritaire dans son pays et sur son continent.»

C’est ce même désir qui a lié tous les participants des Rendez-vous stratégiques. Parmi les 283 propositions recueillies auprès d’eux, plusieurs se sont recoupées, si bien qu’on aura pu en isoler 97, toutes présentées dans le livre. Ces dernières ont ensuite été évaluées lors du Rendez-vous national, en avril dernier, selon leur ordre de priorité.

En tout, 21 priorités ont été établies, parmi lesquelles je retiens celles qui touchent les régions. Car, fait à noter, on accorde de l’importance à la contribution des régions comme la nôtre à l’identité et à la culture québécoises.

On propose entre autres de favoriser la transmission de la culture régionale par le biais du système d’éducation et des médias, qui ne permettraient pas, actuellement, de bien la mettre en valeur. On souhaite aussi augmenter la diffusion de la culture dans les régions ainsi que la circulation des artistes et des ouvres. Enfin, on voudrait que l’État revoie ses programmes de financement pour se doter d’une politique d’action régionale significative. Il faut admettre que ce sont là des propositions qui ont de quoi séduire.

C’est le fruit de beaucoup de travail qui est présenté dans La Culture, notre avenir!. Reste à voir si la population se le réappropriera. Question qu’il ne s’empoussière pas sur les tablettes, parmi tous ces livres qui ne sont rien d’autre, au fond, que de tristes monologues.