Complètement Martel

SlamSag

Ça y est. C’est son tour. Il s’avance sur la scène en sachant que quelque chose pourrait se produire. Dans sa main droite, une poignée de feuilles manuscrites. Juste au cas. Le public l’attend de pied ferme. Il le sait. Ça se sent.

Trois minutes top chrono. C’est tout le temps qu’il a pour surmonter le danger le plus poétique qui soit. L’assistance est alerte, prête à l’acclamer, tout aussi prête à le huer, si ça s’avérait nécessaire. L’univers est concentré autour de cette bouche sur le point de s’ouvrir.

[silence]

Et SLAM. Le type dégaine et la poésie se fait entendre. Les mots détonnent dans leur frappe allusive, cherchant à atteindre le plus grand nombre parmi les cinq juges improvisés et la foule de bourreaux attentifs, au regard de meurtrière, à l’écoute blindée.

C’est ça le slam. Une poésie qui se vit dans l’immédiat. Qui carbure au fuel de l’adrénaline. Prête à exploser à tout moment.

Les slameurs sont bien sûr poètes, mais d’abord et avant tout, ce sont des gens qui ont le sens du spectacle. Pas des stand up comiques. Mais ils maîtrisent la scène, le rythme, l’intonation. Il faut que ça fesse. Que ça fasse un bon show. 

C’était de ça qu’avait besoin la poésie pour sortir de ses carcans ennuyeux qui l’ont transformée en genre suranné. Là où elle étouffait sous la poussière et les préjugés. Là où elle était vaine, ne trouvant aucune incidence sur le réel.

Le slam répond à la déchéance du poétique. Alors que trop de soirées de poésie se transforment en récitations nombrilistes, voire en séances d’onanisme pseudo-poétique, invariablement soulignées de la même incertaine gratification. Ces nauséeux applaudissements, mats et polis.

Avec le slam, le public n’est plus à la merci de l’orateur. Si le poète se vautre dans la complaisance en mâchouillant quelques vers douteux, l’auditoire le met hors jeu. Ça fait partie de la game.

Et ça fonctionne. Dans les faits, le slam québécois commence à se répandre joliment. Instiguée par Ivy, poète et chanteur, la Ligue québécoise de slam (LQS) a dorénavant des équipes à Montréal (Slamontréal), Québec (SlamCap), Gatineau (SlamOutaouais) et Sherbrooke (Slam du Tremplin).

L'album Slamérica, de Ivy.On a beaucoup entendu parler de Grand Corps Malade après le lancement de son album, Midi 20, qui colligeait quelques-uns de ses textes créés expressément pour des joutes de slam. Ivy vient de faire la même chose avec Slamérica, lancé le 19 mars. Si sa voix n’a pas la résonance de celle si particulière de GCM, ses textes visent juste et frappent parfois dur. Ils sont engagés, mais pas soumis à une idéologie. La seule cause possible est celle d’une poésie active et tournée vers le monde. Et ses textes appellent à la conscience, ce à quoi il nous avait habitués en duo avec Reggie.

Évidemment, dans ces cas précis, on ne peut plus véritablement parler de slam, puisque par définition, le slam est nécessairement un ÉVÉNEMENT – ce que les deux poètes savent pertinemment, le répétant comme un mantra sur toutes les tribunes. S’il faut absolument trouver une appellation, parlons à la rigueur d’un produit dérivé, ou d’une pure dérive. Ça n’empêche pas que l’univers du slam suscite de plus en plus d’intérêt partout au Québec.

Une voix off imite le narrateur qui entame chacun des films d’Astérix: «Toute la province est tombée sous le joug de l’impétueuse poésie. Toute? Non. Une région peuplée d’irréductibles résiste encore et toujours à l’envahisseur.» Cette fois, par contre, ça n’a rien de glorieux.

Au Saguenay, on ne semble pas intéressés. À peine l’ombre d’une étincelle. Nous avons bien sûr vu se produire à quelques reprises des slams ponctuels, souvent des initiatives nées dans un cadre universitaire. Les participants et le public en redemandaient. Mais jamais la tradition ne s’est véritablement consolidée. C’est pourtant en slamant qu’on devient slameur.

Hypothèse plausible: peut-être est-ce parce que le collectif de création sous contrainte 3REG répond en partie au besoin d’une poésie extrême, malgré son refus officiel de toute compétition au sein du mouvement. Mais enfin, une ligue qui permettrait à des poètes de la région de se mesurer aux meilleurs slameurs du Québec, ne serait-ce pas là une opportunité digne d’intérêt?

Le Saguenay avait été l’une des premières régions du Québec à joindre les rangs de la Ligue d’improvisation musicale, sous l’impulsion du musicien Sébastien Maltais. Il nous faudrait un type de sa trempe pour répondre à l’invitation d’Ivy et de la LQS. Quelqu’un de véritablement passionné, assez pour porter un tel projet à bout de bras. Où est celui qui créera le SlamSag?

Ça y est. C’est notre tour. Il faut s’avancer sur la scène du slam, savoir que quelque chose pourrait se produire.

Et SLAM. Dégainer, et faire tonner la poésie.