Y a pas à dire. Le temps est au blues. Suffit de marcher dans la rue pour s’en rendre compte. Voire de se regarder dans la glace.
À ce temps-ci de l’année, je me retrouve toujours (comme bien d’autres) dans le même état d’esprit. Noyé dans mes humeurs les plus exécrables. Succombant aux accès de cafard.
Un de mes collègues se promène actuellement quelque part en Californie, arpentant la 1 vers San Francisco, longeant l’océan Pacifique en décapotable, se nourrissant d’amour et de soleil. Bordel. Et moi je continue de piocher sur un clavier en regardant la neige qui ne fond pas assez vite mais qui salope les trottoirs.
C’est à peu près comme ça que me prend l’envie de m’exiler. Le goût de sacrer mon camp. De prendre mes cliques, mes claques, et de me garrocher n’importe où. Partir en voyage moi aussi. Je ne suis pas pire qu’un autre. Aller dans n’importe quel foutu pays, pourvu que ce soit assez loin et assez exotique pour me pomper ces humeurs nocives qui me coulent dans les veines et m’engluent l’esprit.
Alors que j’ai passé l’hiver à savourer le spleen, qui m’aura servi d’encre pour des pages et des pages de poésie et de proses plus ou moins réussies, vient un moment où mon quota est atteint. Point final. Juste plus capable. En général, c’est à peu près à ce moment que je rase ma barbe hivernale. Et que je me remets à lire. Et que je sors (presque par hasard) mon coffre à pêche. Et que je commence à penser aux fleurs du jardin. Ce genre de choses, vous savez.
Et je me mets à faire des choses étranges. Parfois inquiétantes.
Je me suis assis devant la télé pour regarder le hockey des Sags, la fin de semaine dernière. Croyez-le ou non. Deux jours d’affilée. C’est dans la glace du Centre Georges-Vézina que je me serai regardé pour voir à quel point j’avais le blues.
Je me suis même senti comme un vrai fan. J’ai été frustré par la victoire arrachée aux Bleus en prolongation par les Remparts lors du premier match de la série. Et j’ai savouré la sévère raclée de 10-1 que les Sags ont servie à Québec lors de la deuxième partie. Une domination totale, véritablement jouissive. Je me suis même surpris à faire des comptes rendus réguliers à mon amoureuse qui n’en revenait pas de me voir aussi enthousiaste, et qui en rira probablement pendant plusieurs semaines encore.
Je regardais donc la game de hockey quand les fous du Roy se sont fait planter. Je me suis amusé à les détester. Pour vrai.
C’est pas drôle. Quand j’ai vu Roy le Kid traverser la ligne rouge, je détestais tellement les Remparts que j’ai cru un instant que c’était ma faute. Que le type avait seulement senti à quel point j’aimais haïr son équipe, qu’il n’avait eu d’autre choix que de répondre de ses poings. Comme s’il avait frappé Bobby Nadeau parce qu’il ne pouvait pas m’atteindre.
C’est ainsi que j’ai appris comment le spectacle du sport pouvait devenir un exutoire aussi efficace. Pour la première fois de ma vie, j’ai véritablement compris comment un jeu pouvait permettre à ce point de canaliser la mauvaise humeur.
Déjà le blues recommence à me guetter: suis-je vendu à cette doctrine qui a, dit-on, fait tomber Rome? «Du pain et des jeux, et le peuple sera content.»
Peut-être pas tout au long de l’année, on s’entend. Mais au printemps, ce pourrait être suffisant.
Et voilà que le ridicule de la situation me saute au visage. D’abord, j’ai parlé de hockey dans ma chronique. Je n’arrive pas à y croire.
Surtout, je l’ai fait parce qu’il s’est passé quelque chose de déplorable sur la glace. Exactement comme l’ont fait tous les autres médias. Je suis un peu comme ces journalistes qui ne traiteront de culture que s’il y a un dossier chaud. Un coup de censure. L’éventualité d’une méga-fraude fiscale. Quelque chose du genre.
Ça y est, j’en ai pour une semaine avant de m’en remettre. Nouveau coup de blues. La satisfaction n’aura pas duré longtemps. Sans doute me faudrait-il quelque chose d’un peu plus profond.
Y a pas à dire. Le temps est au blues. Les organisateurs du Festival Jazz & Blues Héritage l’ont probablement bien compris. Parce que chaque année, l’événement survient juste au bon moment. Peut-être pourrai-je me replier sur l’un ou l’autre des spectacles proposés. À moins que je ne fasse mes bagages pour partir en voyage sur un coup de tête?
Si par un heureux hasard je ne signais aucun texte dans le prochain journal, ne soyez pas trop inquiets. Peut-être serai-je quelque part dans une île paradisiaque des Caraïbes. Ou ailleurs.
On peut bien rêver. Le rêve est le luxe des enchaînés.
Génial, ce texte!
Curieusement n’étant pas un fan de hockey, je me suis quand même permis une charge émotive sur solidmonolith qui s’intitule « Maximus à la cheville de Bobby Orr ». Évidemment, j’y parle encore de la violence au hockey…
La violence qu’elle soit conjuguale, congénitale ou collatérale ne peut trouver de justification dans l’honneur ou le mérite sportif. Elle est simplement le résultat d’une mise en échec qui devrait être illégale sans autre forme de discussion. Après tout, on a donné des gants aux boxeurs afin de diminuer les blessures. La violence-spectacle est cyclique, mais cette fois elle est beaucoup moins cachée.
Notre sport national bat de l’aile, tant mieux! Je préfère encore le ski ou la raquette et pour les enfants c’est moins dangereux.
Amateurs de sport, adieu!