Complètement Martel

Droit au but

Certains la préfèrent plus sexy, lorsqu’elle s’exhibe plus ou moins crûment. Grand bien leur fasse. Ce n’est qu’une question de code.

Pour toi, c’est la surprise qui est son meilleur appât. C’est lorsqu’elle arrive à t’étonner que tu te sens vraiment épris d’elle. Comme si chaque fois était la première.

Ta plus récente expérience remonte à la semaine dernière. Franchement, tu ne l’avais pas vue venir.

Quelques minutes auparavant, tu étais peinard, assis sur le divan. Généralement, tu éteins le téléviseur avant la fin du Téléjournal. C’est ton dernier bonsoir à l’actualité. Mais ce soir-là, tu t’abandonnais à la douce luxure d’un sommeil délinquant, laissant se révulser tes yeux vers quelque rêve inimaginable, étirant le temps en cognant quelques clous.

C’est alors qu’elle t’a réveillé avec l’évident objectif de te séduire. Son plan était infaillible. Tu allais succomber.

C’est sous les traits d’un lecteur de nouvelles sportives de Radio-Canada qu’elle s’est présentée à toi. Voilà que tu chavirais. Drôle de fantasme, diraient certains. Sans doute.

Mais qui a dit que la poésie et le sport ne pourraient jamais s’embrasser? C’est arrivé. Tu y as assisté. Et tu en es encore chamboulé.

Le poète s’appelle Gilles Gagnon. Un drôle de type. En parfaite maîtrise de ses moyens, avec un sourire qui trahit sans aucun doute la fierté de faire les choses différemment, il vous enfile un chapelet d’images plus ou moins subtiles, préférant de loin les clichés de la poésie à ceux de l’univers sportif.
Le gars refuse simplement de se contenter de dire qu’un but a été compté. Il préfère parler d’un joueur qui «agite les cordages», qui «secoue le score», qui «signe le document», ou qui «ajoute au pécule». Parfois, il dira que le «tir aboutit là où ça compte», que le joueur a décoché «un laser que le pauvre gardien cherche encore», et parlera d’un but si particulièrement habile qu’il «justifiait à lui seul l’existence même du hockey». Parmi les meilleures de la catégorie se trouve sans doute cette expression qu’il a choisie pour relater le dernier but d’un match par «la liste argumentaire est complétée dans la dernière minute».

L’enthousiasme de Gagnon ne se restreint pas au hockey. Il y avait du curling féminin la semaine dernière, à Vernon, en Colombie-Britannique. S’il y a une discipline particulièrement éteignoir, c’est sans doute celle-là. Pourtant, il aura réussi à te soulever de ton siège avec cette envolée particulièrement réussie: «Le Canada et la Chine se lançaient la pierre. Jennifer Jones, capitaine de l’équipage provenant du Manitoba, exécute l’action décisive au septième bout. Avec le marteau, c’est-à-dire la dernière pierre d’une manche, elle formule un carambolage des plus fastes qui se traduit par deux précieux points.»

Tu l’écoutais avec une attention qui t’aurait semblé impossible un peu plus tôt. Ce type est un infatigable poète sportif, plus à l’aise avec les mots que certains athlètes dans leur élément.
Il manque de Gilles Gagnon, dans ce monde. Trop d’animateurs et de journalistes ont oublié l’importance de la forme en communication. Ce n’est pas la première fois que tu le dis. Mais le fait que ce soit un lecteur de nouvelles sportives qui te montre que la poésie est encore vivante te réconcilie avec le genre humain.

S’ils veulent remplacer Derome, tu votes pour Gagnon. N’importe quand.

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Imaginez qu'on nous parle avec autant de verve et de couleurs du conflit israëlo-palestinien, du soulèvement tibetain, de la tension entre les deux Corées, des frasques de nos gouvernements minoritaires, du voyage éternel de nos troupes en Afghanistan, de l'effritement des suffrages virtuels adéquiste et libéral (au fédéral)…

Imaginez qu'on cesse de camoufler, sous une vaine prétention à l'objectivité, une paresse formelle qui réduit le vocabulaire à trop peu de mots.