C’est quand je me prolonge en toi que je me sens vraiment vivant. Tes orteils léchés par le fjord. Tes cheveux rendus fous par le vent du lac.
Je te trouve parfois pleine et riche. Je te laisse parfois sale de toutes mes allées et venues. Quand j’arpente ton corps démentiel des pieds à la tête, épris par ton frémissement silencieux. D’autres fois je te laisse vierge dans la distance, verte et frissonnante, lointaine.
Il n’y a pas longtemps que je suis ici. Quelques centaines d’années tout au plus. Que tu t’offres sans réserve. T’exposes à toutes mes profanations.
Tu m’émeus. Chaque fois que je renouvelle mon point de vue sur toi. Lorsque j’erre en bagnole d’un bout à l’autre de toi. Lorsque mon regard se heurte aux récifs de tes beautés. Tu m’inspires. De belles choses. De moins belles. Je te fais mienne, mine de rien, du bout du crayon entre les pages d’un cahier recouvert de cuir. Je te fais moi, au fil des jours. Plus je t’écris, plus je te suis. Je t’abuse, sans retenue, et à répétition.
Tu m’inspires. Et je ne suis certainement pas le seul.
J’ai entre les mains ce superbe album, intitulé Saguenay. Un fjord et son royaume, qui lève le voile sur les secrets de notre région. L’auteur et journaliste Yves Ouellet y trace un portrait relativement complet de notre coin de pays, traitant d’histoire, de géologie, de biologie, de météo. effleurant ces sujets sans lourdeur, juste assez pour donner le goût. Mais il va sans dire que la force de ce projet réside surtout dans la façon qu’il a de MONTRER les bijoux les plus sublimes que recèle notre environnement; artifices naturels sculptés dans la glace ou la vastitude, galbes rocheux, perles salées. Les photos d’Alain Dumas rendent justice à la magnificence du paysage saguenéen. Et laissent présager encore tant de beautés à découvrir.
Je me sais chanceux. De trouver telle grandeur dès que j’ouvre la porte de chez moi. De n’avoir à faire que quelques pas pour m’éblouir, pour me distraire, pour me choquer. Certains auteurs font des milles et des milles pour trouver pareille contrée, de distance dans le paysage, de proximité dans les rencontres. Pour se ressourcer. Pour se frapper du sceau de la beauté et en être à jamais marqué. On veut se dépayser, se distraire de la routine, étancher sa soif de tout ce qui est neuf par une quête du différent stimulant la création.
Au Québec, le Conseil des arts et des lettres offre une liste particulièrement intéressante de destinations pour les auteurs qui désirent vivre une retraite de création – Paris, Lyon, Bruxelles, mais aussi l’Argentine et le Mexique. Mais à l’intérieur de nos frontières, l’accueil des auteurs se fait surtout à Montréal, excepté quelques initiatives isolées – l’Institut canadien de Québec, dans la capitale, et quelque rarissime projet comme celui du Camp littéraire Félix, qui reçoit un auteur par année dans le Bas-Saint-Laurent, à condition de profiter d’une subvention du Conseil des arts du Canada.
Je suis parfois jaloux de la situation des artistes dans notre région, alors que plusieurs centres leur offrent des résidences de création particulièrement appréciées – Sagamie, Langage Plus, Espace Virtuel, Le Lobe et Séquence. Ce n’est souvent que fortuitement qu’un auteur réussit à se glisser, de façon ponctuelle, dans la programmation – à raison, puisqu’il ne s’agit pas d’organismes qui ouvrent dans le milieu des littératures. Du côté de Séquence, toutefois, on entrevoit une certaine ouverture en ce sens. Les récents travaux de réaménagement devraient d’ailleurs pouvoir permettre l’accueil d’écrivains, en particulier des auteurs dont la pratique touche aussi les arts contemporains.
Je crois pourtant qu’il faut aller plus loin. Il y aurait de la place pour une Maison des littératures au Saguenay. Et la ville de Saguenay, comme toute la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, sortirait grande gagnante dans cette aventure. Parce que si des auteurs du Québec, du Canada et du monde entier découvraient le havre dans lequel nous vivons, humaient nos parfums et goûtaient nos fièvres, ils ne pourraient que devenir porteurs de ce fief magistral, parmi les mieux outillés pour nous vendre à l’étranger. L’ouvrage de Dumas et Ouellet est en cela un exemple très éloquent: le livre est parfois une invite des plus séduisantes. Et ce n’est pas qu’une question de photos. Des fictions pourraient alimenter cette image déjà bien établie d’une région mythique aux échos millénaires. Et la poésie ne peut que se nourrir d’un lieu si grand, pour nourrir à son tour les lecteurs parmi les plus exigeants.
Cette région m’inspire. De belles choses. De moins belles. Plus je l’écris, plus je la suis. Elle m’inspire. Et je ne suis pas le seul. Tous les auteurs qui sont passés par ici s’en sont imprégnés. Et plusieurs ont invité à leur tour.
Il nous faut une Maison des littératures. Pourquoi pas dans ce nouveau centre culturel annoncé en début de semaine, au bas de la rue Racine?
Ça serait assez génial d’avoir une maison de la littérature à Saguenay, tout comme je rêve souvent à une nouvelle salle de spectacle sur le site du vieux-port, un peu comme l’Opéra de Sydney. Le seul problème c’est que l’administration municipale (très bonne en administration!) est plus axée sur le sport que sur la culture.
L’orientation populiste de l’administration fait en sorte que ses réalisations sont très rarement contestées. Or, de tous les temps, les penseurs et les intellectuels, ont toujours été tenus à part des mileux financiers;ils sont considérés comme une menace au pouvoir, étant les pourvoyeurs d’une certaine ouverture d’esprit. Plus ça change, plus c’est pareil!