LE POÈTE INVENTÉ
Il s’avance avec à la main un petit tas de feuilles manuscrites, et un vieux cahier abîmé coincé sous le bras. Lorsqu’il entre dans le faisceau du projecteur, habitué qu’il est de rester dans l’ombre, il plisse les yeux. La présentation que lui a réservée l’animatrice lui a semblé un peu trop prétentieuse. Aussi est-il gêné de se retrouver là devant tant de gens qu’il admire. Heureusement, le mur de lumière les fait disparaître dans l’ombre de la salle. Il se sent seul. Encore plus peut-être que lorsqu’il s’isole pour écrire. Verra-t-on qu’il a sué? Que ses mains tremblent? Heureusement, un lutrin les cachera.
Il respire fort en plaçant le micro devant sa bouche. Son cour joue du métal alors qu’il s’apprête à introduire trop longuement son texte. Puis il entamera ses premiers vers avec quelques hésitations, la bouche pâteuse. Insatisfait de son ton un peu trop aigu après quelques lignes, il décidera de se reprendre, s’excusant, puis s’excusant encore, puis s’excusant de s’excuser.
Il fera enfin une lecture sobre de ses textes, sans trop d’éclat, parce que ce n’était pas nécessaire.
Ce poète n’existe pas. Il n’est pas l’un de ceux que nous avons vus sur la scène du Côté-Cour lors de la 3e Nuitte de poésie au Saguenay. Ou alors il est un peu de tous ces poètes.
Pour dire vrai, c’est un personnage que nous avons inventé, Jonas, Louise Careau, Alexandre Faustino, André Girard et moi, lors d’une rencontre amicale qui s’est déroulée à la Librairie Marie-Laura, au lendemain de l’intense Nuitte. La discussion aiguillée par Jonas portait sur la mise en lecture de la poésie, le passage de l’écrit à l’oral.
C’est au fil de cette conversation qu’est née l’image de ce poète imaginaire. Qui ne serait à l’aise qu’au moment d’écrire. Que le trac étranglerait au moment de se mettre en bouche ses propres mots.
Personnellement, je continue d’avoir des réticences devant le manque de préparation de certains poètes, qui alimentent, par paresse ou par incompréhension du code de la scène (les règles les plus simples de la communication orale semblent parfois complètement ignorées) cette image lassante d’une poésie inaccessible et ennuyante. Toutefois, lorsque des auteurs viennent lire leurs propres textes devant un public, on ne s’attend pas à une performance parfaite. Il faut convenir que la lecture de poésie n’est que très accessoirement spectaculaire. Tout le monde ne peut pas avoir l’éloquence des Yolande Villemaire, Michel X. Côté, Jean-Marc Desgents ou Hervé Bouchard.
En fait, sans toutes les maladresses qui font fourcher les langues et font hésiter, la lecture de poésie donnerait souvent l’impression d’être incomplète. Ce qui rend ces rencontres si charmantes, c’est justement de découvrir des auteurs qui sont imparfaits. Humaniser des êtres dont on ne connaît que la mesure des mots, qui ont parfois écrit des vers acérés, à l’effet inéluctable. Mais cette poésie même proche de la perfection ne devient pas toujours spectaculaire lorsqu’elle monte la rampe. Ce n’est de toute façon pas une nécessité.
La poésie doit seulement se rapprocher de l’être, s’incarner, vivre à travers des hommes et des femmes. Susciter leur rencontre.
UN FESTIVAL DE LA LITTÉRATURE ORALE ?
Les nombreux événements littéraires qui ont eu lieu au cours de la dernière fin de semaine – la 3e Nuitte de poésie, au Côté-Cour, toutes ses déclinaisons d’ateliers, de rencontres et de discussions, la soirée Mots et merveilles qui se tenait au Café Cambio -, la collégialité des rencontres, la participation de nombreux collaborateurs, tout ça prouve une chose: il y aurait de la place au Saguenay pour un festival de littérature orale.
Aux événements qui ont eu cours dans les derniers jours, ajoutons. Les quelques remarquables conteurs que recèle la région – entendre Yvon Paré conter suffit à nous convaincre. Peut-être un événement spécial de 3REG. La machine à poésie de Jonathan Boies. Des mises en lecture par quelques-uns de nos meilleurs comédiens – je me souviens d’une lecture remarquable d’Éric Laprise qui avait eu lieu dans le cadre d’un colloque des Têtes Heureuses, il y a quelques années. Mémorable. Et ces initiatives plus ou moins fructueuses – les lectures sur la Marjolaine ont parfois été éprouvantes pour les romanciers participants – gagneraient à être associées à une entité plus grande qui les justifierait toutes.
Je veux des crieurs publics. Je veux des attentats poétiques dans les rues de Saguenay, des ruines de textes en bribes dans l’esprit des passants, des révoltés du verbe qui ne jurent que par les mots et qui ont promis de les libérer.
Voilà qui serait une belle programmation. Le talent y est. La diversité aussi. Ne manque que l’engagement.
Nous sommes à l’air des partenariats et des collaborations, pas toujours pour les bonnes raisons, certaines étant purement économiques (sauver des sous), plus qu’un véritable désir de partager un projet en commun. Mais qu’à cela ne tienne, l’idée d’un FESTIVAL DE LA LITTÉRATURE ORALE avancée par monsieur Caron, est plus qu’intéressante et à ce titre, elle pourrait faire naître des projets de collaborations entre les écrivains et les artistes du monde théâtral et pourquoi pas avec des gens de la communauté qui ne sont pas obligatoirement reliés au monde des arts ?
Le poète ou l’écrivain n’est pas nécessairement un bon communicateur oral, ce qui ne veut pas dire qu’entendre leurs mots dans le cadre d’un festival de la littérairature orale est chose impensable, en considérant qu’une autre « voix » peut livrer la marchandise.
Lire un texte et l’entendre est une expérience bien différente. L’imaginaire est sollicité d’une autre manière avec la voix. Mais est-ce que la voix peut être une entrave à entrer vraiment dans le monde suggéré par l’auteur ? N’avons-nous pas notre propre voix intérieure quand nous lisons un texte ? Nous pesons intérieurement les mots qui nous accrochent, nous prêtons un ton ou une intention au message pour nous approcher davantage du monde de l’auteur et aussi pour se l’approprier.
J’aime bien l’idée de crieurs publics, comme le projet de la machine à poésie de Jonathan Boies. Mais… Je m’imagine davantage assise sur un banc dans le Vieux port, en regardant la rivière Saguenay et en entendant derrière un bosquet, une voix me réciter des poèmes, me raconter une histoire, une légende, etc. Quelle expérience cela doit être ! Imaginez un envahissement de Cyrano(s) partout sur le territoire. Surtout ne pas voir celui ou celle qui ferait voyager les mots à nos oreilles. Ou encore… Voir une personne masquée qui viendrait à notre rencontre pour nous faire entendre un texte. Tomber en amour avec ce texte et à la limite avec cette voix. Conserver une part d’inaccessible et de magie. Et après cette expérience, pourquoi ne pas « passer au suivant » et devenir soi-même un (e) Cyrano ou une personne masquée pour aller faire entre un texte à une autre personne ?
Avoir le goût par la suite d’aller chercher un livre pour se rappeler cette expérience auditive littéraire. Comme le dit le proverbe, il n’y a pas qu’un chemin qui mène à Rome, comme il n’y a pas qu’un chemin pour aller vers la littérature. Qui n’a pas pris plaisir quand il était petit, à se faire raconter une histoire à voix haute ? Qui dit que ce plaisir doive s’éteindre à l’âge adulte ?
J’aimerais entendre des textes sans nécessairement voir des personnes nous les livrer. Il faudrait trouver une formule pour que l’expérience soit agréable et non ennuyante par manque de visuel. L’objectif n’étant pas de voir lire des gens, mais d’entendre des textes. Passer d’un texte, d’un poème, d’une histoire qui se dévoile à nos yeux par la lecture, à des mots qui voyageraient à nos oreilles. Créer tout de même pour certains rendez-vous collectifs, des ambiances de lumières, de chandelles déposés sur les tables, d’objets signifiants dans le lieu de rassemblement, etc., pour répondre au besoin des visuels, mais surtout laisser une place prioritaire à la voix.
Je me rappelle que par le passé, dans les années 90, le Théâtre de la Rubrique, avait produit une pièce qui fut joué dans le noir. Toute une expérience à vivre, autant pour le spectateur que pour les comédiens…
VOIR aussi pour un autre point de vue http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=F1ARTF0005961
Carole Girard
UN BONJOUR QUOTIDIEN LITTÉRAIRE…
Peut-être que certains d’entre vous connaissez le « Bonjour quotidien » qui est offert par des bénévoles impliqués à l’Association québécoise des retraités ( AQDR) du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le principe est simple. Une personne bénévole communique de manière quotidienne avec un aîné pour s’informer de l’état de cette personne et pour au moins dans la journée de celle-ci, permettre un contact humain, ne serait-ce qu’au bout du fil.
Je pense encore à cette idée d’un festival de la littérature orale et j’aimerais bien dans ce cadre ou même en dehors de ce cadre, être inscrite sur une liste de bénévoles qui me permettrait de recevoir de manière quotidienne, l’appel d’une personne qui me lirait un texte, pour à mon tour en faire autant. J’aime à penser que de manière quotidienne ou si c’est trop, de manière hebdomadaire, on me fasse la lecture pour me permettre de faire des découvertes et peut-être aussi pour consolider mon goût pour la lecture et l’écriture. Le réseau pourrait s’adresser à différents groupes d’âges. Pourquoi pas un réseau intergénérationnel qui permettrait aussi à des enfants d’entendre des histoires via le téléphone ?
L’idée ne coûte pas grand chose. Cela consisterait à mettre en place un réseau de lecteurs bénévoles qui se serviraient du téléphone pour se lire des textes. Et pour les curieux, il pourrait y avoir un rassemblement dans le cadre d’un festival comme celui proposé, pour se rencontrer entre membres et pour se lire en direct des textes aussi variés que le serait, je l’espère, l’assemblée.
Mais peut-être que l’idée peut déjà faire son chemin à travers certains cercles littéraires ??? Personnellement je préfère un certain anonymat. Les mots et des voix…
Bien entendu, il faudrait tout de même une certaine structure administrative pour recevoir les inscriptions afin d’assurer le bon fonctionnement du réseau et pour recevoir les plaintes, dans le cas où un membre ne respecterait pas les règles établies pour le respect des personnes. Je vois mal recevoir de manière quotidienne un appel d’un ou d’une membre qui se servirait de l’initiative pour me raconter n’importe quoi. Ça pourrait être géré comme le service qu’offre l’AQDR Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le membre qui se comporterait de mauvaise manière serait rayé de la liste.
En cette journée de pluie, j’ose encore rêver qu’il est possible de développer des initiatives du genre, même si ça peut sembler un peu farfelu. Pourquoi pas ???
Carole Girard