Une autre chronique qui commence comme une journée de pêche. Aux petites heures du matin sans trop savoir ce qu’on pourra sortir de l’eau. Avec beaucoup, beaucoup de volonté. Et si peu de certitudes.
Alors que Chicoutimi se départit des derniers lambeaux de ses brumes matinales, tandis que mon café goutte du percolateur avec des bruits gutturaux presque obscènes, je sors jeter un oil au soleil aveuglant qui cherche des regards, trop rares à cette heure. Avec la tiédeur du printemps moins jeune, j’ai déjà le goût de l’été aux commissures des lèvres. Suffit de se pourlécher pour avoir une idée de ce qui s’en vient. Vous savez ce que je veux dire.
Je me demande comment la région réussira à séduire, cette année. Pas qu’elle ait moins d’attraits qu’auparavant. Mais les circonstances n’ont rien pour l’aider. Avec les problèmes vécus dans le secteur du bois d’ouvre et l’économie chancelante qui ne peut plus s’épauler sur le géant américain qui peine à tenir sur ses pieds d’argile, beaucoup se sont retournés vers le tourisme en haletant, s’agrippant à cette solution comme à une veste de flottaison au moment de chavirer.
Mais voilà, déjà, pendant l’été 2007, le tourisme avait connu une baisse notable, en particulier dans le secteur du tourisme d’aventure. Je n’ose pas imaginer ce que le prix record du litre d’essence aura comme répercussion sur l’achalandage de voyageurs dans les prochains mois.
Difficile de ne pas être pessimiste. C’est un fait, nous sommes loin. Même si un jour nous pavions d’une feuille d’or les quatre voies divisées qui s’aménagent lentement dans la réserve faunique des Laurentides, l’inéluctable distance qui nous sépare des touristes sera toujours – et de plus en plus – un handicap majeur. La crise de l’énergie n’a pas fini de nous faire ramer.
De plus, la force du dollar canadien, qui ne semble pas vouloir plier l’échine beaucoup plus bas que la presque parité avec la devise de nos voisins du sud, suffira sans doute à convaincre plusieurs d’entre eux de rester chez eux et de nous regarder de loin. Comme on regarde sauter une truite du bord de la rivière en se disant: «Tant pis, ce sera pour une autre fois.»
Ajoutons à cela la Racine qui a été défigurée, littéralement cratérisée par les travaux de construction du complexe qui doit remplacer les ruines de la maison Lévesque. Lorsque j’y suis passé, il y a quelques jours, les marteaux-piqueurs plombaient avec plus de véhémence que le soleil pourtant insistant. Et les hommes s’affairaient à établir les bases nécessaires pour édifier ce colosse de logement pour retraités, cognant et gueulant, comme il se doit, pour le bien-fondé du projet.
Bientôt, il y aura là une flèche de béton qui transformera Chicoutimi en immense cadran solaire. En attendant, le temps sera long et la quiétude difficile à trouver, malgré ce qu’affirme le directeur du manoir. Les badauds distraits par le toc-toc des marteaux d’ouvriers arpenteront les trottoirs comme des insomniaques obsédés par le tic-tac des horloges. Et les propriétaires de terrasses fourniront des bouchons d’oreilles à leur clientèle clairsemée.
Même La Baie, qui réinvente son paysage depuis la fermeture de Port-Alfred, doit abandonner une partie de sa beauté toute neuve aux barges et aux grues qui érigent l’attendu port d’escale. Pour l’arrondissement qui cherche dans le tourisme la résolution de son deuil industriel qui perdure, la nouvelle superstructure maritime sera-t-elle l’appât par excellence? À moins qu’on se mette à construire de gigantesques bateaux de croisière hybrides, avec éoliennes cordées sur le pont et cabine de pilotage munie de panneaux solaires, j’ai bien peur qu’on n’ait pas trouvé LA solution. Ça prend du pétrole pour bouger ces bâtiments.
Je suis en train d’écrire un article qui paraîtra à l’extérieur de la région pour faire connaître ce qu’il y a ici d’exceptionnel. Ce genre d’exercice me bouleverse toujours d’une émotion vive et pratiquement indélébile. Parce qu’alors je dois jeter un véritable regard à la ronde, embrasser tout, et choisir. Parmi les parcs, grands spectacles, expositions, musées, festivals, activités ponctuelles, attraits touristiques, loisirs et plein air. Comment condenser en quelques lignes, dans un article, toute la beauté de ce monde que nous voulons partager? Comment donner le goût, exciter le lecteur au point de l’inciter à me suivre, sur les méandres de la rivière Valin, dans les gradins de la Fabuleuse, porté par le pouvoir de l’eau à la Maison des bâtisseurs, par la force des vents comme un kitesurfer combattant à la flèche littorale de Saint-Fulgence, ou par le beat profondément humain des Rythmes du monde.
Avec tous ces appâts accumulés et parfaits avec les années. Est-ce que la pêche sera bonne cet été? Est-ce qu’à la confluence du fjord et de la rivière Saguenay les courants charrieront leur manne de touristes?
Votre article montre bien comment il n’est pas si bon de mettre tous ses oeufs dans le même panier! Miser sur l’industrie touristique et utiliser le mot «manne» dans tous les textes servant à en faire la promotion, me tombe royalement sur les nerfs. Bien que j’aie passé une partie de mon enfance à vendre de vers de terre à de riches américains venus profiter d’une truite joyeuse et abondante, je me désole à penser que de se résoudre à vivre exclusivement du tourisme puisse être rentable.
Se faire marcher sur les pieds sans arrêt au Festival des rythmes du monde a de quoi rebuter le plus fidèle des touristes, prix de l’essence à la baisse ou non. Pour ce qui est de la construction, ce sera sûrement le meilleur été d’enfer que Chicoutimi aura vécu!