Sous la plume des Taylor et Bouchard, le Québécois de souche est devenu toutes sortes de choses. Majorité ethnoculturelle (ou groupe ethnoculturel majoritaire) du Québec. Mais surtout, Québécois d’origine (ou d’ascendance) canadienne-française. D’où cette retentissante – et plutôt amusante – référence à une réplique d’Elvis Gratton par Pauline Marois. «Chu un Américain du Nord français francophone canadien-français.» Je me demande d’ailleurs ce que pense Falardeau de tout ce cirque. Étrange que personne ne l’ait interrogé. À moins qu’il ait refusé de se prononcer. Il faut dire que depuis qu’il a arrêté de fumer.
Il y avait déjà des Québécois de toutes les origines. Fiers d’être Québécois. Et fiers de leurs origines. Un seul ne pouvait pas être fier de sa provenance. C’est ce Québécois «de souche», expression qui fait rougir les bien-pensants – parce que, faut-il le souligner, ça fait raciste. Alors il est devenu Québécois d’origine canadienne-française, le Québécois de souche.
Pourtant, historiquement et symboliquement parlant, le terme canadien-français réfère à une réalité qui est loin d’inspirer la fierté, portant l’écho d’une subordination passée, d’un sous-développement économique. C’est justement ce que l’accession à une nouvelle identité dite «québécoise» nous avait permis d’effacer. Or, dans une volonté d’accueil que je ne renie pas (ni ne dénonce), cette identité qu’on a voulu appliquer à toute personne vivant sur le territoire du Québec a provoqué une impression de dépossession identitaire pour les Québécois dits «de souche».
Plus question d’être fier juste de soi en étant fier d’être Québécois. Dès lors, il fallait être fier de tout le monde en même temps, quitte à s’oublier.
Ce nous inclusif est certainement d’une richesse inégalable, source de fierté s’il en est, irrigué aux principes mêmes de la démocratie. Mais à partir du moment où il n’est plus acceptable de se dire Québécois de souche, on ne peut vivre de rapport à notre identité qu’avec une culpabilité déchirante. C’est le malaise identitaire – surtout pas une crise, il ne faudrait pas effrayer la population! De toute façon, les médias s’en chargeront puisqu’ils semblent en accepter le blâme.
Que proposent messieurs Taylor et Bouchard pour pallier la situation? Que le Québécois de souche redevienne une sous-classe, qu’il revienne à cette identité canadienne-française qu’il avait quelque part éclipsée derrière le fleurdelisé. Qu’il arbore fièrement son passé (voire son présent) de «porteur d’eau, scieur de bois, locataire et chômeur dans son propre pays» (Félix Leclerc, L’Alouette en colère). Qu’il se souvienne, puisque l’exige sa devise, d’avoir mangé de la pea soup à la louche (pour ne pas dire autre chose) au point d’avoir élevé au rang de héros national un joueur de hockey – ce damned French Canadian de Maurice Richard.
Pour des intellectuels qui croient à la portée de la valeur symbolique de l’identité collective, il est surprenant qu’ils n’aient pas tenu compte de la forte symbolique négative d’une telle référence. Se dire Québécois d’origine canadienne-française, c’est non seulement se rapprocher symboliquement de la situation parfois déplorable des minorités francophones des autres provinces, mais aussi replonger dans un passé de replis et de tolérance abusive.
À cela je réponds qu’il faut nécessairement s’identifier à un symbole plus positif. Et je propose que le Québécois dit «de souche» soit considéré d’origine «laurentienne» – en référence au déploiement de l’écoumène qui s’est développé à partir du fleuve. C’est le Saint-Laurent qui a permis l’établissement des colons français en terre d’Amérique. Et c’est à partir de là que la population a rejoint les autres régions. Les 21 ne sont-ils pas venus de Charlevoix pour exploiter la forêt et s’installer dans la région? Et le curé Hébert (Hébertville) n’était-il pas de Kamouraska?
Comme le Québécois d’origine marocaine, haïtienne, cambodgienne, irlandaise, colombienne ou amérindienne, je revendique le droit à une origine qui m’est propre.
Je suis un Québécois d’ascendance laurentienne. C’est important, car c’est en sachant qui je suis vraiment que je pourrai vivre pleinement mon rapport avec tous les autres Québécois.
Et parle la sagesse de Daniel Boucher, qui n’a pas eu besoin d’une commission menée par des intellectuels muselés par leur propre réputation pour établir la meilleure façon d’agir en pareille circonstance: «Ç’t’à mon tour d’ouvrir la maison chez nous/pis de pas m’gêner pour dire/que je l’aime pis que c’est d’même là/que ça s’passe pis que j’ai l’goût, moé./C’t’à mon tour d’ouvrir/à du beau monde de partout/Les vouleurs de rire/sont bienvenus chez nous.»
D’ailleurs, on ne cherchait pas un hymne national, quelque chose de rassembleur? Et si c’était tout ce qu’il fallait pour que se dissipe le malaise? Un attachement à la Laurentie. Et un hymne.
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Pour lire le rapport de la commission Bouchard Taylor: http://www.ccpardc.qc.ca/