Complètement Martel

Fête nationale: les mots les plus beaux

Nous étions français 

On les aime bien. Alors on les pare des plus belles fioritures – quand on le peut. On les endimanche, on les blinde et les lance à la volée. On les dépense sans compter, puisqu’ils sourdent d’une source qui suinte comme seule une intarissable fontaine peut le faire.

Les mots sont porteurs de tous les secrets, chargés de toutes les richesses, brûlants de toutes les souffrances ou proches de toutes les caresses. Mais peuvent-ils être beaux?

«C’est une langue belle, avec des mots superbes», entonne-t-on aux quatre coins de la francophonie, trace de l’histoire d’une langue qui s’est imposée. La chanson de Duteil, devenue argument pour le rassemblement des francophiles du monde entier, est fondée sur un énoncé qui fut rarement réfuté. Pourtant, la question se pose. Quels sont-ils ces mots si beaux qui feraient du français la plus belle des langues?

C’est ce que demande le Mouvement national des Québécois (MNQ) dans le cadre des festivités prévues pour la fête nationale du Québec, dont la programmation régionale a été dévoilée le 2 juin à La Baie. On propose aux amoureux de la langue de sélectionner les mots qui seraient les plus beaux, perles éclatantes cachées dans l’écrin du dictionnaire.

Incapable. J’ai eu beau essayer, et même si je suis un fervent défenseur de la langue française au Québec, absolument aucun mot ne me semble doté d’une quelconque beauté. Rien qui puisse être justifié. Cette langue même que je défends ne me semble pas plus belle qu’une autre.

Évidemment, nous étions Français. Alors ces sursauts de colonialisme, qui proposent le français comme une langue d’exception, ne nous choquent pas outre mesure. La plupart du temps, ça nous passe sous le nez sans même qu’on s’en rende compte. À croire qu’on serait bénis par l’essence divine de cette langue supérieure.

Sans doute sommes-nous aveuglés par un attachement viscéral à ce trait qui cimente notre identité, marqués par une histoire qui nous a asservis plutôt que de faire de nous les représentants de l’impérialisme français. A beau cracher sur les Américains qui porte en son cour le lourd tribut du Français.

Avons-nous le droit de juger de la beauté, voire de la supériorité, d’une langue sur une autre? Et pourquoi pas l’anglais? L’italien? L’espagnol? Voire l’esperanto? Comment peut-on en venir logiquement à déclarer qu’un mot est plus beau qu’un autre? Comment mesure-t-on l’esthétisme du vocabulaire?

Les mots extase, passion, effluve ou chair sont-ils plus beaux que merde, putréfaction ou vomissure? Répondre oui, c’est admettre que le mot n’a en soi rien de beau, mais qu’on porte plutôt attention à ce qu’il représente. En quel cas, il y a autant d’extase que de merde dans chacune des langues parlées sur le globe.

S’il faut être fier de sa langue au Québec – et c’est une urgence ressentie par beaucoup d’entre nous -, ce n’est certainement pas pour ce qu’elle est en soi. Car elle ne supplante les autres ni en sonorité, ni en précision – malgré ce qu’en ont dit les plus virulents défenseurs du colonialisme français à travers les siècles.

Une langue ne doit pas inspirer la fierté pour les mots qu’elle rassemble parce qu’alors elle risque de s’encastrer dans un dictionnaire immuable, de préférer les emprunts aux néologismes, de mourir d’inanition devant l’entêtement de dinosaures fossilisés comme ceux qui dirigent l’Académie française.

Non, s’il faut en être fier, c’est pour ce qu’elle représente. Pour ce qu’elle s’imprègne de couleurs locales. Et surtout, il faut entendre les joyaux de littérature laissés par les maîtres des écritures, les auteurs, poètes, chanteurs. Non seulement ceux qui l’ont fait vivre autrefois. Mais ceux qui l’alimentent encore et toujours aujourd’hui.

Et bien sûr, au Québec, il faut être sensible aux échos quatre fois centenaires, référant à la survivance et à la solidarité, aux épreuves, et à la proximité nécessaire pour les surmonter. Mais alors il faut avoir l’humilité d’admettre que le français porte aussi le fardeau du sang qu’il a fait couler, étouffant la parole dans l’ouf chez certains peuples conquis.

Pour avoir eu l’occasion de m’entretenir avec des Réunionnais et des Marocains dans le cadre du premier Forum international des Caravanes des 10 mots, qui se tenait il y a de cela déjà deux ans, à Lyon, je sais que l’adhésion à la grandeur du fait français ne va pas toujours de soi.

Pour paraphraser – ou peut-être même détourner – cette chanson interprétée par Francine Raymond, il y a les mots qui amusent. Et il y a ceux qui abusent, qui ne traînent souvent pas très loin dans les parages. 

On peut aimer le français, voire être attaché à son vocabulaire, mais la langue n’est pas plus belle que laide. Tout dépend de la façon dont on s’en sert, des messages qu’elle véhicule.