Trop souvent dans la région on se met sur le nez des lunettes roses, question de ne pas voir la réalité aussi sombre qu’elle se présente véritablement.
Bin quoi? Mieux vaut ça qu’un pacte de suicide collectif.
Voyez. J’ai des lunettes roses et je peux gambader dans le charnier culturel sans déprimer. J’ai le cheveu long, aussi, et j’ai des fleurs dans la tignasse. Paix.
Il y en a une poignée qui préfèrent porter leurs verres rouges. C’est le cas du poète pamphlétaire, syndicaliste et engagé Pierre Demers. On le sait, Demers ne fait pas dans la nuance. Dans l’édition du 16 juin de L’Aut’Journal, il signe un billet particulièrement acide où il traite de la Fabuleuse. Son coup de gueule va particulièrement à la Corporation du Théâtre du Palais municipal, qui a toujours refusé de payer les figurants, considérés comme des «comédiens» bénévoles. Selon son article, un comédien de la région aurait même affirmé que le fait de ne pas payer ces figurants discréditait le travail des autres travailleurs culturels qui ont fait du jeu leur profession.
Pourtant, payer les bénévoles de la Fabuleuse, ce serait soutenir que leur travail est équivalent à celui des véritables comédiens. Est-ce le cas? Allons donc. Leur présence scénique n’a rien à voir avec celle des comédiens qui renouent à chaque représentation avec le véritable danger de la scène. Ceux dont chaque intonation, chaque moindre geste sont scrutés avec attention, pouvant faire du spectacle un succès ou un échec. Ça y est, je vais encore me faire taxer d’élitisme. Comme si c’était d’élite qu’il était question.
Ceux qui prennent d’assaut la scène du Palais municipal n’ont rien du talent, de la fougue et du sérieux des acteurs qui peuplent la scène théâtrale du Saguenay. Et c’est bien ainsi. La Fabuleuse en elle-même n’a aucune crédibilité théâtrale et se ferait absolument anéantir si elle prétendait le contraire. Elle tire sa crédibilité justement du fait qu’elle est un projet rassembleur, preuve qu’une sympathique bourgade comme La Baie peut se prendre en main et tout mettre en ouvre pour ne pas être euthanasiée par un manque de volonté chronique. Ça n’a pas moins de valeur qu’une véritable démarche théâtrale. Ce qui diffère, ce sont nos attentes.
En fait, c’est un faux paradoxe qui oppose dans une pseudo-concurrence déloyale le théâtre professionnel et la Fabuleuse.
Les spectateurs du grand spectacle, charriés à grands voyages de charters et répandus sur les bancs du Palais municipal, seraient-ils les mêmes que ceux qui s’intéressent aux petites productions théâtrales? Poser la question, c’est y répondre. On ne se demande pas si les moutons qui bêlent leur passion inconditionnelle pour les blockbusters sont les mêmes que ceux qui suivent assidûment le cinéma d’auteur.
Est-il déplorable que la Fabuleuse ne paie pas ses comédiens? C’est le lot de tous les bénévoles. Et si on interrogeait n’importe quel volontaire, qu’il travaille dans un festival (sans doute des machines du diable graissées à l’huile de bras gratis des centaines de bénévoles sans lesquels elles s’effondreraient, faute de financement), un théâtre, une galerie d’art ou même dans un hôpital? Il s’en trouverait pour nous dire que, bien sûr, ils préféreraient être payés. Mais ça ne les empêchera pas de continuer.
Parce que ce n’est pas l’argent qui motive leur action. À ce titre, celui qui se fait suer dans un casse-croûte ou laver le cerveau dans un Wal-Mart se fait bien plus exploiter. Parce qu’alors il s’attend à ce que son travail soit rémunéré: la motivation est pécuniaire.
Évidemment, on peut se questionner sur le bénévolat institutionnalisé. Mais alors, on n’a pas le droit de restreindre nos récriminations à l’expérience de la Fabuleuse. C’est toute l’institution culturelle québécoise qu’il faut déglacer. Parce que la plupart des projets dépendent de la bonne volonté de ces gens qui acceptent de donner de leur temps, même s’ils ne sont pas nécessairement sous les feux de la rampe. L’État a fini par profiter de la situation pour se délester de ses responsabilités culturelles. Ça y est, j’ai enlevé mes lunettes roses.
Il y a des dizaines, sinon des centaines de petites villes et de petits villages au Québec qui, faute de projets communs, s’endorment. Étranglés par leur incapacité à réinjecter la vie dans leurs artères, ils deviennent des dortoirs. C’est la proximité des centres urbains qui draine leur vitalité. Plusieurs villages sont ainsi morts d’inanition.
Ça ne signifie pas que tout le monde doit avoir un grand spectacle dans sa cour. Il y a de quoi se donner mal au cour seulement à relever l’offre qui se multiplie au Québec. Et je n’ai pas été particulièrement ébloui par la Nouvelle Fabuleuse – ni par l’ancienne, à vrai dire. Mais il devrait s’agir d’un bon exemple de prise en main d’une communauté. Et valorisé comme tel.
L’arrondissement de La Baie résiste, encore et toujours. Point à la ligne. C’est ce que c’est. Et c’est ce que ça vaut.
Le point de vue de la résistance et de la survie ne m’était jamais venus à l’esprit; j’avais plutôt tendance à critiquer le succès commercial de la Fabuleuse et de son contenu.
Il y a beaucoup d’artistes qui n’entreront jamais dans le processus de création qui si toutes les conditions sont «gagnantes», refusant d’être des créateurs au sens propre du mot. Ils sont des «manager» de carrières et leur ambition les amène souvent à crtiquer plutôt qu’à simplement créer. C’est une conséquence inévitable de l’art enseigné…